L’agir se fait par la forme et non par la matière selon Saint Thomas d’Aquin
Dans la pensée de Saint Thomas d’Aquin, l’action (l’agir) d’un être ne provient pas de sa seule matière, mais de sa forme, qui est le principe d’actualisation et d’intelligibilité. Cette idée s’inscrit dans la métaphysique aristotélicienne et dans la doctrine de l’hylémorphisme, selon laquelle toute réalité corporelle est composée de matière (hylè) et de forme (morphè).
1. Distinction entre matière et forme chez Saint Thomas
Saint Thomas reprend et approfondit la distinction aristotélicienne entre :
- La matière (ce qui est en puissance) : elle est le substrat passif, ce qui reçoit la forme.
- La forme (ce qui est en acte) : elle est le principe d’organisation et de détermination, ce qui donne à une chose son essence et sa finalité.
Exemple :
- Un couteau est composé de matière (fer, acier), mais ce n’est pas cela qui fait qu’il coupe.
- C’est sa forme spécifique (une lame affûtée, avec un tranchant) qui lui permet d’agir comme couteau.
C’est donc la forme qui détermine l’action spécifique d’un être.
2. Pourquoi l’agir provient de la forme et non de la matière ?
a) La forme est le principe d’actualisation
La matière seule est indéterminée et ne peut rien faire en elle-même. Ce n’est que lorsqu’elle reçoit une forme qu’elle devient un être déterminé capable d’agir.
Exemple : L’argile en elle-même ne peut pas remplir une fonction spécifique. C’est lorsqu’elle reçoit une forme (par exemple, celle d’une jarre) qu’elle devient capable de contenir de l’eau.
b) L’action dépend de la nature d’un être, qui est donnée par sa forme
Chaque être agit selon ce qu’il est en acte. Or, c’est la forme qui détermine la nature et l’identité d’un être.
Exemple :
- Un arbre agit comme un arbre (pousse, produit des feuilles, absorbe l’eau) parce qu’il possède la forme d’un arbre.
- Un lion chasse parce qu’il possède la forme d’un animal prédateur.
- Un homme pense et agit rationnellement parce qu’il possède une âme rationnelle (forme substantielle de l’homme).
C’est donc la forme qui donne à un être sa capacité d’agir selon sa nature propre.
3. Application dans la théologie et l’éthique
a) Dans la théologie sacramentelle
Les sacrements ne sont pas simplement une matière (l’eau, le pain, le vin, etc.), mais ils reçoivent leur efficacité par une forme spécifique, c’est-à-dire les paroles sacramentelles prononcées.
Exemple :
- Dans le baptême, l’eau seule ne sanctifie pas. C’est lorsque l’eau est unie à la forme donnée par les paroles (« Je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ») que l’action sanctifiante a lieu.
- Dans l’Eucharistie, le pain et le vin deviennent le Corps et le Sang du Christ par la forme des paroles de la consécration.
b) Dans la morale et l’éthique
L’agir humain n’est pas déterminé uniquement par les désirs matériels ou biologiques, mais par la forme de l’âme rationnelle, qui donne à l’homme la capacité de choisir le bien et d’agir librement.
Exemple :
- Un homme ne se définit pas simplement par son corps, mais par son âme rationnelle, qui lui permet de poser des actes libres et réfléchis.
- Ce n’est pas la matière du cerveau qui produit la pensée, mais la forme spirituelle de l’âme, qui rend possible l’intelligence et la volonté.
Conclusion
Saint Thomas d’Aquin enseigne que l’agir provient de la forme et non de la matière car :
- La matière seule est indéterminée et passive.
- La forme donne à chaque être sa nature propre et donc sa manière spécifique d’agir.
- L’homme agit de manière rationnelle parce qu’il possède une forme substantielle spirituelle (l’âme rationnelle).
- Les sacrements et les actes moraux ne tirent pas leur valeur de la matière seule, mais de la forme qui leur est donnée.
Ainsi, c’est toujours la forme qui est le principe premier de l’action, car elle actualise la puissance de la matière et lui donne sa finalité propre.