Raoul Naz « Dictionnaire de Droit Canonique »
1) « De plus le pouvoir du pape cesserait par suite de démence perpétuelle ou d’hérésie formelle. Dans le premier cas, le pape, étant incapable de faire un acte humain, serait par conséquent incapable d’exercer sa juridiction. L’aide d’un vicaire ne pourrait y suppléer, puisque l’infaillibilité et la primauté de juridiction ne peuvent être déléguées. Le second cas, d’après la doctrine la plus commune, EST THÉORIQUEMENT POSSIBLE, en tant que le pape agirait comme docteur privé. Étant donné que le Siège suprême n’est jugé par personne (can. 1556), IL FAUDRAIT CONCLURE QUE PAR LE FAIT MÊME ET SANS SENTENCE DÉCLARATOIRE, LE PAPE SERAIT DÉCHU. Il n’est d’ailleurs pas d’exemple, dans l’histoire ecclésiastique, qu’un vrai pape soit tombé dans l’hérésie formelle, même en tant que docteur privé. »
(R. Naz, Traité de Droit Canonique, t.I, p.376-377)
2) « Résumons en guise de conclusion, l’explication que les meilleurs théologiens et canonistes ont donnée à cette difficulté (Bellarmin, De Romano Pontifice, l. II, c.30; Bouix, De papa, t. II, Paris, 1869, p. 653; Wernz-Vidal, Jus Decretalium, l. VI, Jus poenale ecclesiae catholicae, Prati, 1913, p. 129). Il ne peut être question de jugement et de déposition d’un pape dans le sens propre et strict des mots. Le vicaire de Jésus-Christ n’est soumis à aucune juridiction humaine. Son juge direct et immédiat est Dieu seul. Si donc d’anciens textes conciliaires ou doctrinaux semblent admettre que le pape puisse être déposé, ils sont sujets à distinction et rectification. Dans l’hypothèse, invraisemblable d’ailleurs, où le pape tomberait dans l’hérésie publique et formelle, IL NE SERAIT PAS PRIVÉ DE SA CHARGE PAR UN JUGEMENT DES HOMMES, MAIS PAR SON PROPRE FAIT, PUISQUE L’ADHÉSION FORMELLE À UNE HÉRÉSIE L’EXCLUERAIT DU SEIN DE L’ÉGLISE. »
(R. NAZ, Dict. de Droit Canonique, t. IV, col. 1159) 1953
Voici tout le texte intégral de R. Naz t. IV col. 1159 :
La question de la déposition du pape ne se pose pas en droit canonique. Le canon 1557, § 1 énonce un principe d’une portée absolue:
“Prima sedes a nemine judicatur”.
Ce principe était déjà proclamé par des autorités fort anciennes (par exemple le concile dit synodus Palmaris, tenu à Rome en 501, pour juger de l’accusation portée contre le pape Symmaque; cet incident est narré par Kober, op. cil., p. 553 sq. Cf. Vacandard, art. cit., col. 546). Mais c’est la première fois qu’une loi générale le formule dans toute sa force. Auparavant son énoncé fut souvent accompagné de formules restrictives. De là, chez certains auteurs, des expressions impropres ou des hésitations.
Ainsi Gratien inséra dans son Décret (dist. XL, C. 6) un texte qu’il attribue à S. Boniface, parlant du
pape en ces termes:
« Hujus culpas redarguere presumit mortalium nullus,
quia cunctos ipse judicaturus a nemine est judicandus,
nisi deprehendatur a fide devius. »
A un autre endroit de sa collection, Gratien reprend (caus. III, q. VII, C. 13) un texte déjà inséré dans des collections canoniques antérieures et attribué au pape Eusèbe (t 311) :
Oves quae suo pastori commissae sunt, eum nec reprehendere
(nisi a fide exorbitaverit),
nec ullatenus accusare possunt.
Ces restrictions et d’autres semblables eurent pour effet, en des temps troublés, où la théorie de la supériorité du concile sur le pape trouvait des adhérents, de faire déférer le pape au jugement de conciles ou d’assemblées d’évêques. Mais même alors le principe interdisant de soumettre le pape à une judicature humaine fut souvent proclamé. Citons, à titre d’exemple, ces paroles d’évêques réunis par Charlemagne, en 800, pour juger d’une accusation portée contre le pape Léon III :
Nos Sedem apostolicam … judicare non audemus, nam ab ipsa nos omnes judicamur, ipsa
autem a nemine judicatur (Hardouin, Concilia, t. IV, col. 969. Cf. Vacandard, art. cit., col. 517).
Un grand pape du XIIIe siècle, Innocent III, tout en admettant qu’un Souverain pontife puisse, dans un cas extrême, être jugé, introduit aussitôt la distinction qui sera dans la suite approfondie et élucidée par les auteurs:
« Potest (pontifex) ab hominibus iudicari vel potius judicatus ostendi,
si videlicet evanescat in haeresim, quoniam qui non credit iam judicatus est”
(Sermo IV, In consecratione pontificis; P. L., t. ccxvii col. 670.
Résumons, en guise de conclusion, l’explication que les meilleurs théologiens et canonistes ont donnée à cette difficulté
(Bellarmin, De Romano Pontifice, 1. II, c. 30; Bouix, De papa, t. II, Paris, 1869, p. 653; Wernz-Vidal, Jus Decrelalium, 1. VI, Jus poenale Ecclesiae catholicae, Prati, 1913, p. 129) :
Il ne peut être question de jugement et de déposition d’un pape dans le sens propre et strict des mots. Le vicaire de Jésus-Christ n’est soumis à aucune juridiction humaine. Son juge direct et immédiat est Dieu seul. Si donc d’anciens textes conciliaires ou doctrinaux semblent admettre qu’il puisse être déposé, ils sont sujets à distinction rectification.
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Hérétique
Dans l’hypothèse, invraisemblable d’ailleurs, où le pape tomberait dans une hérésie publique et formelle, il ne serait pas privé de sa charge par un jugement des hommes, mais de par son propre fait, puisque l’adhésion formelle à une hérésie l’exclurait du sein de l’Eglise.
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Schismatique
Si un schismatique pape était élu, il ne serait pas déposé comme pape, mais traité en usurpateur d’une fonction qu’il n’aurait pas réellement possédée. Ce ne pas serait lui-même qui serait jugé, mais bien l’acte des électeurs.
Le canoniste Fagnanus remarque très justement « Eo casu, non pontifex maximus, sed factum potius eligentium judicatur (op. cit., ad c. 4, De electione, 1. II, t. v, n. 65).
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Dément
Si enfin un pape tombait dans un état de démence incurable, il n’y aura pas lieu de le déposer par décision des cardinaux , mais le pape, radicalement incapable d’exercer sa charge serait déchu de par le droit divin.
La source :
Dictionnaire de Droit Canonique |
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publié sous la direction de R. Naz, en 7 tomes. En 1965, s’achevait le Dictionnaire, 6 ans après l’annonce par Jean XXIII du concile Vatican II et de la révision du code de 1917 qui avait été œuvre de codification/compilation d’un ensemble législatif composé de normes diverses et éparses que l’Histoire avait données à l’Église latine. De la confrontation des décisions de Vatican II au code de 1917 a jailli le code de 1983 qui ne renie pas les principes de son prédécesseur, mais les met en harmonie avec la pensée de l’Église dans la deuxième moitié du XXe siècle. La conception de l’ouvrage lui permet de conserver toute sa valeur historique et d’être une source documentaire des plus complètes. Il a eu pour but de fournir un exposé complet du droit commun de l’Église, tel qu’il résultait des dispositions du code de 1917. Œuvre pratique autant que scientifique, les entrées rassemblent un très large éventail de termes canoniques. Évidemment, un choix est fait, mais ce choix est le plus large possible. Ces termes peuvent se présenter dans l’une ou l’autre des catégories suivantes : 1° Les termes de droit proprement dit ou de jurisprudence, dont les uns sont des termes de pur droit, comme achat, accusation, admission et autres similaires : à propos de ces mots, sont donnés l’état précis de la doctrine ou de la jurisprudence avec, très brièvement, s’il est nécessaire, l’exposé rapide des modifications introduites depuis l’application du code de 1917. D’autres mots, comme abbé, affinité, divorce, paroisse, vicaire, visite » ad limina « , etc., fournissent matière à un exposé plus détaillé de la formation de la discipline, c’est-à-dire de l’histoire des disciplines antérieures, toujours nécessaire à la bonne compréhension du droit alors en vigueur et au droit actuel. 2° Les termes désignant les institutions de l’Église ou instruments de la formation du droit : collections canoniques ; organismes de tout ordre, dicastères romains (tribunaux, Congrégations, etc.) ; institutions, comme doyennés, archiprêtrés. 3° Les articles sur les principaux canonistes, comprenant des renseignements biographiques succincts, la plupart étant plus connus par leurs œuvres que dans le détail de leur vie ; les caractéristiques de leur esprit et leur influence sur l’intelligence et sur la formation du droit et de la doctrine sont mises en relief. Une notice bibliographique complète chaque article. 4° On trouve aussi l’essentiel sur le droit liturgique et sur la législation des cultes dans le droit civil français à l’époque de la rédaction. |
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Raoul Naz:
“It is enough that a pope teaches heresy as a private doctor to lose, without any sanction, his supreme office.” (Dictionnaire du Droit Canonique, Paris: 1953, VII, 27)