
Remarque préliminaire
Avant de donner le texte du décret, il nous semble nécessaire de rappeler à qui il appartient d’établir les lois liturgiques. Le Code de Droit canonique (de 1917, canon 1257) dit ceci :
« Au Saint-Siège seul, il appartient de réglementer la liturgie et d’approuver les livres liturgiques. »
Le Pape Pie XII le précise dans son encyclique Mediator Dei :
« L’Église a usé de ce même droit sur les choses liturgiques pour défendre la sainteté du culte divin contre les abus introduits avec témérité et imprudence par des personnes privées et des Églises particulières. Et c’est ainsi que, au 16ème siècle, les usages et coutumes de ce genre s’étant accrus à l’excès, et les initiatives privées en ces matières menaçant l’intégrité de la foi et de la piété pour le plus grand profit des hérétiques et de la propagation de leurs erreurs, Notre prédécesseur d’immortelle mémoire Sixte-Quint établit en l’année 1588 la Sacrée Congrégation des Rites, afin de défendre les rites légitimes de l’Église et d’en écarter tout ce qui aurait été introduit d’impur (Constitution Immensa du 22 janvier 1588), à cette institution, de nos jours encore, il appartient, de par la fonction qui lui est dévolue, d’ordonner et décréter tout ce qui concerne la liturgie sacrée (Code de Droit canonique, canon 253). »
Le texte du décret établit donc clairement le caractère obligatoire de ce nouvel Ordo de la Semaine Sainte. En outre, c’est une erreur de vouloir mettre cette réforme sous la seule responsabilité du fameux Bugnini : ce ne sont pas les membres des commissions qui établissent la liturgie mais la Sacrée Congrégation des Rites sous l’Autorité du Pape, ce qui est très bien précisé dans le décret (texte en gras) ; ces commissions sont des causes instrumentales, non la cause principale des lois liturgiques.
Texte latin du décret dans Acta Apostolicæ Sedis, vol. 47, Vatican, 1955, pp. 838-841.
Décret “Maxima Redemptionis” du 16 novembre 1955
Les plus grands Mystères de notre rédemption : la Passion, la mort et la résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ furent, depuis l’âge apostolique, célébrés chaque année dans une commémoraison toute spéciale par notre Sainte Mère l’Église. Les trois moments les plus saillants de ces Mystères étaient spécialement rappelés dans un triduum particulier, celui du Christ « crucifié, enseveli, ressuscité » ; bientôt s’y joignit la solennelle mémoire de l’institution de la Sainte Eucharistie ; et enfin, le dimanche qui précède immédiatement la Passion, s’ajouta la célébration liturgique de l’entrée triomphale de Notre-Seigneur Roi-Messie dans la sainte cité ; de là sortit une semaine liturgique particulière, qui en raison de l’excellence des mystères célébrés, fut appelée Semaine Sainte, et fut dotée de rites pleins de solennité et de piété.
Ces rites étaient au début, célébrés aux mêmes jours de la semaine, et aux heures mêmes où les très saints Mystères s’étaient accomplis. C’est ainsi que l’institution de la sainte Eucharistie était rappelée le jeudi soir par une messe solennelle in Coena Domini ; le vendredi, on célébrait, dans l’après-midi, l’action liturgique spéciale de la Passion et de la mort du Seigneur ; enfin le soir du samedi saint commençait la solennelle vigile qui, le matin suivant, se terminait dans la joie de la résurrection.
Mais au Moyen Âge, on commença à anticiper l’heure de la célébration liturgique de ces jours, sous l’influence de causes diverses, au point que, vers la fin de cette époque, toutes ces solennités liturgiques avaient été avancées au matin, non sans détriment certes du sens liturgique, ni sans désaccord entre les récits évangéliques et les représentations liturgiques s’y rapportant. En particulier, la solennelle liturgie de la vigile pascale, écartée de sa place propre pendant la nuit, perdit sa force significative originelle ainsi que le sens des paroles et des symboles. En outre, la journée du samedi saint, trop tôt envahie par la joie pascale, abandonna son caractère de deuil commémoratif de la sépulture du Seigneur.
Aux époques plus récentes, se produisit encore un autre changement très grave, lui, au point de vue pastoral. En effet, les jeudi, vendredi et samedi de la Semaine Sainte, avaient été pendant de longs siècles, du nombre des jours de fête, pour que le peuple chrétien tout entier, libéré des travaux serviles, puisse participer aux cérémonies de ces jours ; mais au cours du 17ème siècle, à cause des profonds changements des conditions de la vie sociale, les Pontifes romains eux-mêmes furent amenés à diminuer le nombre des jours de fête. Ainsi Urbain VIII, par la Constitution apostolique Universa per Orbem du 24 septembre 1642, se vit obligé de ranger également le triduum sacré de la Semaine Sainte, non plus parmi les jours de fête, mais parmi les jours ouvrables.
Par conséquent, l’assistance des fidèles à ces rites sacrés décrut nécessairement du fait surtout que leur célébration avait été anticipée depuis longtemps déjà aux heures du matin, moment où, les jours de semaine, l’enseignement, les occupations professionnelles et les affaires publiques de tout genre, ont habituellement lieu partout. L’expérience commune et quasi universelle enseigne, en effet, que ces solennelles et imposantes fonctions liturgiques du triduum sacré sont accomplies ordinairement par le clergé, dans des églises presque désertes.
Cela était certes très regrettable. Les rites liturgiques de la Semaine Sainte, en effet, ne jouissent pas seulement d’une singulière dignité, mais aussi d’une force et d’une efficacité sacramentelle particulière pour nourrir la vie chrétienne. Ils ne peuvent obtenir une juste compensation par ces pieux exercices de dévotion qu’on appelle extraliturgiques et qui ont lieu l’après-midi, pendant le triduum sacré.
C’est pourquoi, des spécialistes des questions liturgiques, des prêtres ayant charge d’âmes, et en tout premier lieu les évêques eux-mêmes ont, ces dernières années, présenté au Saint-Siège des vœux instants pour que les fonctions liturgiques du triduum sacré soient ramenées comme autrefois à l’après-midi, afin que tous les fidèles puissent plus facilement participer à ces rites.
La chose mûrement pesée, le Souverain Pontife Pie XII, dès l’année 1951, rénova la liturgie de la vigile pascale, par une mesure provisoire, au gré des évêques et à titre d’expérience.
Or, comme cette expérience a rencontré partout le plus grand succès — ainsi que l’ont rapporté au Saint-Siège la plupart des Ordinaires — ; comme, d’autre part ceux-ci n’ont pas manqué de réitérer leurs instances, demandant que pour les autres jours de la Semaine Sainte, comme pour la vigile pascale, il y ait une semblable rénovation liturgique, rétablissant les fonctions aux heures du soir ; comme enfin les messes du soir prévues par la Constitution apostolique Christus Dominus du 6 janvier 1953 , sont partout célébrées avec un plus grand concours de peuple ; ayant considéré toutes ces raisons, Sa Sainteté le Pape Pie XII, ordonna que la Commission constituée par lui pour la réforme liturgique, examinât cette question de la rénovation de l’Ordo de la Semaine Sainte et présentât ses conclusions. Celles-ci obtenues, Sa Sainteté décida que, en raison de l’importance de la chose, toute la question fût soumise à un examen spécial des cardinaux de la Sacrée Congrégation des Rites.
Ceux-ci, réunis au Vatican, le 19 juillet de cette année, en congrégation extraordinaire, étudièrent mûrement la question et jugèrent bon à l’unanimité, d’approuver et de prescrire l’Ordo rénové de la Semaine Sainte, sous réserve de l’approbation du Souverain Pontife.
Le cardinal préfet soussigné, ayant rapporté tout cela en détail au Souverain Pontife, celui-ci a daigné approuver le résultat des délibérations des cardinaux.
C’est pourquoi, par mandement spécial de Sa Sainteté Pie XII, Pape par la divine Providence, la Sacrée Congrégation des Rites établit ce qui suit :
I. — Caractère obligatoire de l’Ordo rénové de la Semaine Sainte
1. Ceux qui suivent le rite romain sont tenus désormais d’observer l’Ordo rénové de la Semaine Sainte décrit dans l’édition typique vaticane. Ceux qui suivent d’autres rites latins sont tenus seulement d’observer le temps des cérémonies liturgiques établi dans le nouvel Ordo.
2. Ce nouvel Ordo doit être observé à partir du 25 mars, deuxième dimanche de la Passion, c’est-à-dire dimanche in Palmis, de l’année 1956.
3. Pendant toute la Semaine Sainte aucune commémoraison n’est admise, et à la messe sont interdites également les oraisons impérées à quelque titre que ce soit.
II. — Heure convenable à laquelle doit être célébrée la liturgie de la Semaine Sainte
L’office divin
4. Le deuxième dimanche de la Passion, ou dimanche des Rameaux, les lundi, mardi et mercredi de la Semaine Sainte, l’office divin a lieu aux heures habituelles.
5. Pendant le triduum sacré, c’est-à-dire, le jeudi in Cœna Domini, le vendredi in Passione et Morte Domini, et le samedi saint, si l’office est exécuté au chœur ou en commun, on observera ce qui suit :
Matines et Laudes ne sont pas anticipées le soir, mais sont dites le matin, à l’heure convenable. Dans les églises cathédrales cependant, comme le jeudi in Cœna Domini la messe chrismale est célébrée le matin, Matines et Laudes de ce même jeudi peuvent être anticipées le soir.
Les Petites Heures sont dites à l’heure convenable.
Les Vêpres du jeudi et du vendredi sont omises puisque les offices liturgiques principaux de ces jours occupent leur place. Mais le samedi saint elles sont dites dans l’après-midi à l’heure habituelle.
Complies sont dites le jeudi et le vendredi après les offices liturgiques du soir ; le samedi saint elles sont omises.
Dans la récitation privée, ces trois jours, toutes les heures canoniques doivent être dites suivant les rubriques.
La messe ou action liturgique principale
6. Le deuxième dimanche de la Passion, la bénédiction solennelle et la procession des rameaux ont lieu le matin à l’heure habituelle ; au chœur, après Tierce.
7. Le jeudi in Cœna Domini, la messe chrismale est célébrée après Tierce. Mais la messe in Cœna Domini doit être célébrée le soir, à l’heure la plus favorable, non cependant avant 17 heures ni après 20 heures.
8. Le vendredi in Passione et Morte Domini, la solennelle action liturgique est célébrée l’après-midi, vers 15 heures ; si toutefois une raison pastorale le conseillait, il serait permis de choisir une heure plus tardive non cependant au-delà de 18 heures.
9. La solennelle vigile pascale doit être célébrée à l’heure convenable, c’est-à-dire à celle qui permette de commencer la messe solennelle de cette vigile vers le milieu de la nuit entre le samedi saint et le dimanche de la Résurrection.
Là où cependant, vu les conditions des fidèles et des lieux, il conviendrait, au jugement de l’Ordinaire, d’anticiper l’heure de la célébration de la vigile, celle-ci ne doit pas commencer avant le crépuscule, ou en tout cas pas avant le coucher du soleil.
III. – Prolongation de l’abstinence et du jeûne du carême jusqu’au samedi saint à minuit
10. L’abstinence et le jeûne prescrits pour les temps du Carême, qui jusqu’ici, d’après le canon 1252 n°4, cessaient le samedi saint après-midi, cesseront désormais le samedi saint à minuit.
Nonobstant toute chose contraire.
Le 16 novembre 1955, C. Card. Cicognani, Præfectus.