selon le droit canonique et la théologie scolastique
Table des matières
Introduction
- Le Décès
- L’Abdication
III. La Folie
- L’HérésiePublique
- L’ApostasiePublique
- Le Schisme Public
VII.Conclusion
Introduction
Selon la doctrine certaine de l’Église catholique, telle qu’enseignée avant 1963, le pontificat papal, en tant que charge suprême confiée par Notre-Seigneur Jésus-Christ à saint Pierre et à ses successeurs légitimes, n’est pas indéfectible en la personne du pape, mais peut cesser pour des causes déterminées par le droit divin et ecclésiastique.
Ces causes sont fondées sur la logique thomiste, qui exige une conformité entre l’essence de la charge et les conditions nécessaires pour son exercice.
Comme l’enseigne saint Thomas d’Aquin dans sa Summa Theologica (IIa-IIae, q. 39), la tête d’un corps ne peut subsister si elle est séparée du corps lui-même (“le schisme est un péché spécial, parce qu’il vise à se séparer de l’unité de l’Église”); de même, le pape, tête visible de l’Église, perd sa charge si des circonstances le rendent incompatible avec l’unité de foi, de l’Eglise ou l’exercice légitime de l’autorité.
Les six causes principales de perte du pontificat sont le décès, l’abdication volontaire, la folie, l’hérésie publique, l’apostasie publique et le schisme public.
Ces dernières trois relèvent de la défection publique de la foi catholique, qui entraîne une perte ipso facto de la charge, sans besoin de déclaration formelle, conformément au droit canonique.
Nous examinerons chacune en distinguant les causes naturelles (décès et folie), volontaires (abdication) et incompatibles avec la foi (hérésie, apostasie, schisme).
- Le Décès
La cause la plus évidente, fréquente et naturelle de perte du pontificat est le décès du pape. Selon le droit divin, la charge papale est attachée à la personne élue, et elle cesse avec la mort physique, car l’âme immortelle ne peut exercer l’autorité visible sans le corps.
Le Code de Droit Canonique de 1917, qui codifie la doctrine traditionnelle, implique cela implicitement dans le Canon 218, qui définit la juridiction suprême du pape comme personnelle et ordinaire, mais limitée à sa vie terrestre.
Texte du Canon 218 (latin) :
« Romanus Pontifex, Beati Petri successor, habet non solum primatum, sed supremam et plenam potestatem iurisdictionis in universam Ecclesiam tam in rebus fidei et morum quam in iis quae ad disciplinam et regimen Ecclesiae per totum orbem pertinent. »
« Le Pontife Romain, successeur du Bienheureux Pierre, possède non seulement la primauté, mais la suprême et pleine puissance de juridiction sur l’Église universelle tant dans les choses de la foi et des mœurs que dans celles qui regardent la discipline et le gouvernement de l’Église par tout l’univers. »
Ce canon présuppose logiquement que la mort met fin à cette puissance, car aucune provision n’est faite pour un exercice post-mortem sur l’Eglise universelle sur terre. Puisqu’ils sont appelés «successeurs de St Pierre », le pontificat de St Pierre s’est bel et bien arrêté.
Les contre-arguments des modernistes, qui pourraient invoquer une continuité mystique, sont réfutés par la logique thomiste : la forme (l’autorité papale) ne subsiste pas sans la matière (la personne vivante).
L’argument le plus fort et indéniable est l’histoire de l’Église qui confirme cela, avec chaque interrègne (interregnum) suivant un décès papal. L’Eglise a constaté à chaque fois qu’il n’y avait plus de pape et a procédé à l’élection d’un successeur, selon la procédure qui était en vigueur à cette époque (les derniers siècles par un conclave).
- L’Abdication
L’abdication, ou renonciation volontaire, est une cause légitime de perte du pontificat, reconnue par le droit ecclésiastique. Elle doit être libre, sans contrainte, et n’exige pas l’acceptation des cardinaux pour être valide.
- Libre :
Canon 185 donne : « La renonciation causée par une crainte grave, injustement provoquée, ou par le dol ou par une erreur touchant la substance de l’acte, ainsi que la renonciation entachée de simonie sont nulles de plein droit »
C’est applicable analogiquement à la papauté.
- Sans acceptation nécessaire :
Cela est expressément enseigné dans le Canon 221 du Code de Droit Canonique de 1917.
« Si contingat Romanum Pontificem renuntiare, ad eiusdem renuntiationis validitatem non est necessaria Cardinalium aliorumve acceptatio. »
« S’il arrive que le Pontife Romain renonce à sa charge, la validité de cette renonciation n’exige pas l’acceptation des Cardinaux ou de quiconque. »
Cette disposition codifie la doctrine traditionnelle, comme l’exemple historique de saint Célestin V en 1294, qui abdiqua librement.
Notez : bien que la renonciation du pape soit effective dès l’expression de sa volonté (sans acceptation) , la règle pour les autres clercs (évêques, curés, etc.) est différente. Leur renonciation requiert l’acceptation de l’autorité à qui elle se rapporte.
Les contre-arguments des schismatiques, qui pourraient prétendre que l’abdication invalide un pontificat subséquent, sont réfutés : l’Église accepte historiquement de telles renonciations sans contestation, prouvant leur validité.
Abdication peut être tacite :
Nous proposons un chapitre à part sur l’abdication tacite, car c’este une matière vaste et délicate
III. La Folie
Par la folie on perd son office, car on est ou devient radicalement incapable de régner, c’est une règle universelle, qui s’applique aussi dans l’Eglise et pour un pape.
“Celui qui a perdu la tête, ne peut être la tête”. Cette règle universelle, ancrée dans le droit naturel s’applique sans exception aux ordres humains, y compris à l’Église (qui est une société d’humains) et au pontificat romain.
Cette perte n’est pas juridiquement formalisée dans le Code, mais déduite par analogie d’autres cas de folie dans le code et du droit naturel et du principe d’incapacité de raison (defectus mentis).
- En effet, la raison naturelle l’exige.
Comme l’enseigne saint Thomas d’Aquin dans sa Somme théologique (I-II, q. 90 et suivantes) le gouvernement vise le bien commun par une direction ordonnée à la raison.
Un fou, privé de l’usage de la raison – qui est le propre de l’homme comme image de Dieu (Genèse 1, 26-27) –, est radicalement incapable de gouverner, tout comme un aveugle ne peut guider les autres.
Saint Thomas, l’Ange de l’École, affirme que l’autorité royale ou princière, qui imite la providence divine, cesse lorsque le prince devient tyrannique ou inapte, car le prince est institué pour le bien du peuple, non pour sa propre gloire (De Regno, I, 15).
Si la tyrannie justifie la résistance (comme chez saint Thomas, qui admet que les sujets peuvent, en dernier recours, déposer un tyran pour restaurer l’ordre), l’incapacité mentale est encore plus grave : elle n’est pas un abus volontaire, mais une privation essentielle et totale de la capacité à exercer l’office.
Ainsi, dans le droit civil romain, que l’Église a toujours intégré le fou perdait ses droits civils et ne pouvait régner.
Justinien, Institutiones, Livre 1, Titre 23, paragraphe 5 :« Furiosi nihil agere possunt, quia non habent mentem. » (« Les fous ne peuvent rien faire, parce qu’ils n’ont pas d’esprit. »).
Cette règle universelle s’applique à tout office : un évêque fou ne peut valablement ordonner ni gouverner son diocèse, de même qu’un pape ne peut exercer le magistère ou la juridiction s’il est privé de raison.
- Dans l’Église, cette vérité est confirmée
La Catholic Encyclopedia :
Son ‘édition du début du XXᵉ siècle classe parmi les « irregularités » les personnes atteintes d’« amentia, d’insanité ou de toute autre maladie psychique » ; ces défauts excluent la réception ou l’exercice des ordres, car ils rendent impossible l’accomplissement des fonctions ecclésiales
Donc pour être validement élu au pontificat, le candidat doit être apte à gouverner, impliquant l’intégrité mentale.
Le Droit canon stipule :
Canon 984 : « Sont irréguliers par défaut : … 3° Ceux qui sont ou ont été épileptiques ou privés de raison ou possédés par le démon ; s’ils le sont devenus après avoir reçu les ordres et s’il est certain qu’ils ont cessé de l’être, l’Ordinaire peut permettre à ceux qui sont ses sujets d’exercer à nouveau les ordres reçus »
Si un pape venait à perdre cette aptitude par folie, l’office deviendrait vacant ipso facto, car le pontificat exige l’exercice continu de la plénitude du pouvoir (plenitudo potestatis), incompatible avec l’incapacité.
Cela n’est pas une déposition formelle, mais une cessation automatique, pour préserver l’indéfectibilité de l’Église promise par Notre-Seigneur (Matthieu 16, 18).
En pratique, pour éviter des abus, la doctrine canonique exige souvent une intervention de l’autorité pour constater la vacance, même dans les cas d’incapacité.
Claeys-Bouuaert enseigne que le Pape qui perd définitivement l’usage de ses facultés mentales cesse d’être Pape ; et il explique :
« (…) devenant incapable de poser un acte humain, le Pape dément serait par conséquent incapable d’exercer sa juridiction. L’aide d’un vicaire ne pourrait y suppléer, étant donné que l’infaillibilité et la primauté de juridiction ne peuvent être déléguées » (Traité de Droit Canonique, tome I, p. 376.).
Presque tous les auteurs partagent cet avis, voir, par exemple :
– Wernz-Vidal, Ius Can., vol. II, n. 452, p. 516 ;
– Wilmers, De Christi Eccl., p. 258 ;
– Chelodi, Ius de Personis, n. 155, p. 245 ;
– Cocchi, Comment. in Cod. I. Can., III, n. 155, p. 25 ;
– Vermeersch-Creusen, Epit. I. Can., I, n. 340, p. 292. ).
Cependant, certains, avec Cappello, affirment qu’il n’est pas possible de prouver une démence certaine et perpétuelle :
“De Curia Romana”, Rome, 1913, II, pp. 13-14 (cité par Coronata, Inst. Iuris Can., I, p. 366, note 7).
Sur ce point, on peut également consulter : Coronata, Inst. Iuris Can., I, p. 366 ; Sipos, Enchiridion…, p. 156, note 31.
Dans un autre ouvrage, Cappello affirme que, dans l’ordre concret, Dieu ne permettra jamais qu’un Pape devienne fou : Summa Iuris Canonici, I, n. 309, p. 276.) ;
Mais cette dernière position est difficile à soutenir aujourd’hui, compte tenu des progrès de la médecine et de la psychologie.
Quant aux contre-arguments, qui invoquent l’infaillibilité papale pour nier toute incapacité, ils se contredisent eux-mêmes.
L’infaillibilité, dogmatiquement définie par Vatican I (Pastor Aeternus, 18 juillet 1870), ne protège que les définitions ex cathedra sur foi et mœurs ; elle n’empêche pas le pape d’être personnellement inapte ou de tomber dans l’erreur privée, ni de devenir fou.
Dire que la folie n’affecterait pas l’office reviendrait à nier que l’Église est une société visible et raisonnable, gouvernée par des actes humains ordonnés à la révélation – ce qui est absurde et contraire à la raison de saint Thomas.
Le principe est non seulement vrai, mais nécessaire pour la sauvegarde de la foi.
- L’Hérésie Publique (lire le chapitre sur l’hérésie)
L’hérésie publique est une cause certaine de perte ipso facto du pontificat, car un hérétique manifeste ne peut être membre de l’Église, encore moins sa tête.
Cela est enseigné par saint Robert Bellarmin “De Romano Pontifice”, livre II, chapitre 30 :
« ..il est prouvé par des arguments d’autorité et de raison que l’hérétique manifeste est déposé ipso facto… donc l’hérétique manifeste ne peut être Pape. »
Cela est codifié dans le Canon 188 §4 du Code de Droit Canonique de 1917.
« Ob tacitam renuntiationem ab ipso iure admissam quaelibet officia vacant ipso facto et sine ulla declaratione, si clericus: … 4° A fide catholica publice defecerit. »
« Par renonciation tacite admise par le droit lui-même, tout office devient vacant de plein droit et sans aucune déclaration si le clerc : … 4° A publiquement défectionné de la foi catholique. »
Objection : Ce canon s’applique aux offices ecclésiastiques en général, pas explicitement au pontificat.
Réponse : par extension logique et doctrinale, la plupart des théologiens l’y appliquent. L’application analogique est admise par les canonistes.
Selon la logique de saint Thomas ( Summa Theologica, IIa-IIae, q.39, a.1, ad 3), l’hérésie rompt l’unité de foi, séparant de l’Église.
Les contre-arguments des schismatiques, qui nient cette perte automatique pour préserver leurs faux papes, sont réfutés : ils contredisent les Pères comme saint Cyprien et saint Jérôme, qui affirment que les hérétiques s’excluent eux-mêmes.
- L’Apostasie Publique (lire le chapitre sur l’apostasie)
L’apostasie publique, abandon total de la foi chrétienne, entraîne pareillement une perte ipso facto du pontificat, car l’apostat n’est plus chrétien.
Cela tombe sous le même Canon 188 §4, comme défection de la foi.
Saint Thomas enseigne ( Summa Theologica, IIa-IIae, q. 12, a. 1) que l’apostasie est un vice opposé à la foi.
Elle rend impossible l’appartenance à l’Église, car on entre dans l’Église par la foi.
En effet le prêtre interroge le catéchumène (le baptizandus) au moment de l’admission au catéchuménat, avant les exorcismes et le baptême proprement dit.
Le prêtre demande : « Quid petis ab Ecclesia Dei ? » (Que demandes-tu à l’Église de Dieu ?).
Le catéchumène répond alors : « Fidem ! » (La foi !).
Les contre-arguments des hérétiques, qui minimisent l’apostasie pour justifier des compromis oecuméniques, sont réfutés par la doctrine fixe : l’Église ne tolère pas les apostats en son sein.
- Le Schisme Public (lire chapitre sur le schisme)
- Le droit canon
Le schisme public, refus d’obéissance à l’autorité légitime ou rupture d’unité, cause également la perte du pontificat si elle est manifeste, car elle équivaut à une défection (Canon 188 §4).
- La théologie
Saint Thomas ( Summa Theologica, IIa-IIae, q. 39, a. 1) définit le schisme comme séparation du corps ecclésial.
- Quelques exemples de schisme par un pape :
– Déclaration d’une doctrine contraire aux enseignements définis :
Si le pape proclamait que le dogme de l’infaillibilité papale, défini par le Concile Vatican I, n’est pas obligatoire, et convoquerait un concile purement “pastoral”, il créerait une division doctrinale qui pousserait des fidèles et des évêques à rompre la communion avec lui.
– Rejet de l’autorité du pape ou des évêques :
Un pape qui dépose sa tiare, la vend au enchères et en présence de schismatiques déclarés, et annoncerait que les évêques ne sont plus tenus de se soumettre à la primauté Rome, ou qu’ils doivent abandonner les décisions du Synode des évêques d’une province de l’Eglise, créerait une fracture entre le SaintSiège et certains évêques.
– Établissement d’une liturgie ou d’un rite « nouveau » excluant les rites existants :
Si le pape imposait un nouveau rite liturgique (une sorte de “novus ordo”) en prohibant la célébration du rite latin en vigueur pendant des siècles, il provoquerait la rupture de la communion liturgique avec ceux qui refusent ce changement.
– Excommunication massive de clercs ou de fidèles pour désaccord doctrinal :
Ordonner l’excommunication automatique de tous les évêques qui contestent une décision papale, sans offrir de voie de réconciliation, équivaudrait à « refuser la soumission à la juridiction du pape », ce qui constitue un acte schismatique.
– Création d’une « Église parallèle » :
Un pape qui, sous prétexte de réformer l’Église, établirait une structure juridique distincte, avec ses propres canons et son propre magistère (un soi-disant “diocèse flottant international”), et inviterait les fidèles à y adhérer, reproduirait le phénomène des antipapes et des schismes historiques.
– Négation de la communion avec les provinces orientales :
S’il déclarait que les provinces catholiques orientales ne sont plus en communion avec Rome, pour la simple cause qu’ils n’ont pas le rite latin, il rompt l’unité visible de l’Église universelle.
– Modification du droit canonique sans consultation :
Promulguer un nouveau droit canon qui annule les obligations de communion avec le SaintSiège, ou qui rend obligatoire le rejet de certains enseignements magistériels, serait une violation du principe que « tous les fidèles sont tenus d’observer les constitutions et décrets légitimes de l’Église».
Ces scénarios illustrent comment, par leurs paroles ou leurs actes, des papes pourraient engendrer un schisme : ils portent atteinte à l’unité de foi, de charité et de juridiction qui caractérise l’Église catholique.
VII. Conclusion
Ces causes garantissent la protection divine de l’Église, car Dieu ne permet pas qu’un incapable, ou qu’un hérétique, apostat ou schismatique règne validement.