2e Opinion : Perte de Papauté ipso facto par Hérésie interne

Deuxième opinion : En tombant dans l’hérésie,
même simplement interne,
le Pape perd ipso facto le pontificat

 

Table des matières

Introduction

1. Arguments en faveur de cette opinion

– Exposition et réfutation par Suarez

2. Raisons contre cette opinion

– Réfutation par Suarez

– Dilemme posé

3. Une opinion abandonnée aujourd’hui

 

 

Introduction

 

Nous adopterons la classification présentée par saint Robert Bellarmin sur le sujet d’un pape hérétique (« De Romano Pontifice »). Voici la deuxième opinion.

 

Les partisans de cette deuxième opinion n’excluent pas, en raison des arguments déjà indiqués¹, que le Pape puisse devenir hérétique. Et, admettant qu’il y a une incompatibilité complète entre l’hérésie et la juridiction ecclésiastique — surtout la juridiction pontificale —, ils soutiennent que le Pape hérétique perd « ipso facto » la charge, avant même d’extérioriser son hérésie.

 

  1. a) En faveur de cette opinionmilitent divers arguments, que Suarez expose et réfute ensuite². Après avoir montré, sur la base d’un passage de l’Écriture, que la foi est le fondement de l’Église, Suarez écrit :

« Par conséquent, si la foi est le fondement de l’Église, elle est aussi le fondement du Pontificat et de l’ordre hiérarchique de l’Église. Cela se confirme par le fait que c’est cette raison qui est présentée pour expliquer que le Christ ait demandé à saint Pierre une profession de foi avant de lui promettre la Papauté (Mat. 16). Deuxième confirmation : fréquemment les Pères disent que celui qui n’a pas la foi ne peut jouir de juridiction dans l’Église : saint Cyprien (référé dans le cap. « Novatianus », 7, q. 1 ; cap. « Didicimus », 24, q. 1), saint Ambroise (cap. « Verbum », de Poenitentia, q. 1), saint Gélase (c. Achatius, 1) et Alexandre II (cap. « Audivimus », 24, q. 1), saint Augustin (epist. 48 ad Vicent ; lib. de Pastoribus), saint Thomas (II-II, q. 39). Troisième confirmation, par un argument très simple : l’hérétique n’est pas membre de l’Église ; donc, il n’en est pas non plus la tête. De plus : l’hérétique ne doit même pas être salué, mais doit être absolument évité, comme l’enseignent saint Paul (Tit., 3) et saint Jean (II Epist.) ; à plus forte raison, donc, ne doit-il pas être obéi. Enfin : le Pontife hérétique nie le Christ et la véritable Église ; donc, il nie aussi lui-même et sa charge ; donc, il en est par là même privé³. »

 

  1. b) Les raisons qui militent contre cette deuxième opinionse fondent surtout sur le caractère visible de l’Église, en fonction duquel il est impossible d’admettre la perte de juridiction pour une raison en soi inconnaissable par les fidèles. Voici comment Suarez développe son argumentation à ce sujet :

« La perte de la foi par hérésie uniquement interne n’entraîne pas la perte du pouvoir de juridiction (…). Cela se prouve d’abord par le fait que le gouvernement (ecclésiastique) deviendrait très incertain si le pouvoir dépendait de pensées et de fautes intérieures. Autre preuve : puisque l’Église est visible, il convient que son pouvoir de gouvernement soit à sa manière non de pures cogitations mentales. C’est une raison « a priori », car dans un tel cas l’Église ne retire pas le pouvoir par son droit humain, puisqu’elle ne juge pas de ce qui est interne, comme nous le dirons plus loin. Et le pouvoir n’est pas non plus enlevé par la force du simple droit divin, parce que celui-ci ou est naturel, c’est-à-dire connaturel aux dons surnaturels eux-mêmes, ou est établi par détermination positive. Le premier membre du dilemme ne peut être accepté, parce que par la nature même des choses on ne peut démontrer une connexion nécessaire entre la foi et le pouvoir de juridiction ; et aussi parce que le pouvoir d’ordre est encore plus surnaturel, et pourtant il ne se perd pas, ce qui constitue une vérité de foi, comme on l’expose plus amplement dans le traité des Sacrements en général, et comme l’enseigne saint Thomas (II-II, q. 39, a. 3). Par conséquent, bien que la foi soit le fondement de la sanctification et des dons qui lui appartiennent, elle n’est toutefois pas le fondement des autres pouvoirs et grâces, qui sont accordés au bénéfice des autres hommes. Le second membre du dilemme s’élimine par la simple observation que ni par la Tradition ni par l’Écriture il n’est possible de démontrer l’existence de ce droit divin-positif. Enfin, il est conforme à la raison que, de même que la juridiction ecclésiastique n’est conférée que par quelque action humaine — que cette action soit seulement désignative, c’est-à-dire élective de la personne, comme dans le cas du Souverain Pontife, ou qu’elle soit collative du pouvoir, comme dans les autres cas —, de même elle ne doit être retirée que par quelque action externe, car dans les deux situations on doit garder la proportion due, en tenant compte de la condition et de la nature de l’homme⁴. »

 

  1. c) opinionaujourd’hui abandonnée. Comme nous l’avons vu, cette deuxième opinion— de la perte du Pontificat par hérésie uniquement interne — repose sur la thèse, aujourd’hui abandonnée par la majorité des théologiens, selon laquelle même l’hérésie non extériorisée déterminerait la perte de la condition de membre de l’Église⁵. Entre ces deux positions il n’existe toutefois pas un lien nécessaire. Ainsi le Card. Journet, bien qu’admettant que l’hérésie seulement interne exclut de l’Église⁶, penche néanmoins pour la opinion selon laquelle le Pape hérétique n’est pas « ipso facto » destitué⁷. Suarez considère aussi que l’hérétique interne cesse d’être membre de l’Église⁸, mais il exige un acte déclaratif pour que le Pape hérétique déchoie du siège de Pierre⁹.

En termes plus généraux, il est opportun d’observer dès maintenant que, bien qu’il existe un lien intime entre l’exclusion de l’Église et la perte du Papauté, un grand nombre de théologiens ne juge néanmoins pas que la première détermine « ipso facto » la seconde¹⁰.

On comprend donc que cette opinion, selon laquelle l’hérésie uniquement interne détermine la perte du Pontificat, ait été complètement abandonnée par les théologiens.

 

¹ Dans cette matière, comme il est évident, les arguments en faveur d’une opinion constituent en général des objections aux autres, et vice-versa. Ainsi, dans le chapitre dédié à chaque opinion, nous n’exposerons que les raisons et les contre-raisons qui contiennent quelque chose de nouveau.

Dans le cas présent, il n’est pas nécessaire d’indiquer les fondements de la thèse selon laquelle le Pape peut devenir hérétique, car ils sont énoncés dans les objections soulevées contre la opinion précédente (pp. 8-13).

 

² Dans les derniers siècles, aucun auteur dont nous ayons connaissance n’a défendu cette opinion. Parmi les anciens, son principal défenseur fut le Cardinal Torquemada (oncle de l’inquisiteur du même nom — voir note 1 de la p. 37).

 

³ Suarez, « De Fide », disp. X, sect. VI, n° 2, p. 316.

 

⁴ Suarez, « De Legibus », lib. IV, cap. VII, n° 7, p. 360.

 

⁵ Les diverses positions des théologiens sur le moment où l’hérétique cesse d’être membre de l’Église peuvent être vues chez Salaverri, « De Eccl. Christi », pp. 881-882.

 

⁶ Voir Journet, « L’Eglise… », vol. II, p. 575, note 3 ; p. 821, note 3 ; p. 1064 (où il cite un passage de la Bulle « Ineffabilis Deus », de Pie IX).

 

⁷ Voir Journet, « L’Eglise… », vol. II, p. 821, note 3.

 

⁸ Voir Salaverri, « De Eccl. Christ », p. 881.

 

⁹ Voir le texte de Suarez que nous citons aux pp. 21-23.

 

¹⁰ Voir les considérations que, à ce propos, font Suarez (pp. 21-23) et saint Robert Bellarmin (p. 27).

Les partisans de cette deuxième opinion n’excluent pas, en raison des arguments déjà indiqués¹, que le Pape puisse devenir hérétique. Et, admettant qu’il y a une incompatibilité complète entre l’hérésie et la juridiction ecclésiastique — surtout la juridiction pontificale —, ils soutiennent que le Pape hérétique perd « ipso facto » la charge, avant même d’extérioriser son hérésie.

 

  1. a) En faveur de cette opinionmilitent divers arguments, que Suarez expose et réfute ensuite². Après avoir montré, sur la base d’un passage de l’Écriture, que la foi est le fondement de l’Église, Suarez écrit :

« Par conséquent, si la foi est le fondement de l’Église, elle est aussi le fondement du Pontificat et de l’ordre hiérarchique de l’Église. Cela se confirme par le fait que c’est cette raison qui est présentée pour expliquer que le Christ ait demandé à saint Pierre une profession de foi avant de lui promettre la Papauté (Mat. 16). Deuxième confirmation : fréquemment les Pères disent que celui qui n’a pas la foi ne peut jouir de juridiction dans l’Église : saint Cyprien (référé dans le cap. « Novatianus », 7, q. 1 ; cap. « Didicimus », 24, q. 1), saint Ambroise (cap. « Verbum », de Poenitentia, q. 1), saint Gélase (c. Achatius, 1) et Alexandre II (cap. « Audivimus », 24, q. 1), saint Augustin (epist. 48 ad Vicent ; lib. de Pastoribus), saint Thomas (II-II, q. 39). Troisième confirmation, par un argument très simple : l’hérétique n’est pas membre de l’Église ; donc, il n’en est pas non plus la tête. De plus : l’hérétique ne doit même pas être salué, mais doit être absolument évité, comme l’enseignent saint Paul (Tit., 3) et saint Jean (II Epist.) ; à plus forte raison, donc, ne doit-il pas être obéi. Enfin : le Pontife hérétique nie le Christ et la véritable Église ; donc, il nie aussi lui-même et sa charge ; donc, il en est par là même privé³. »

 

  1. b) Les raisons qui militent contre cette deuxième opinionse fondent surtout sur le caractère visible de l’Église, en fonction duquel il est impossible d’admettre la perte de juridiction pour une raison en soi inconnaissable par les fidèles. Voici comment Suarez développe son argumentation à ce sujet :

« La perte de la foi par hérésie uniquement interne n’entraîne pas la perte du pouvoir de juridiction (…). Cela se prouve d’abord par le fait que le gouvernement (ecclésiastique) deviendrait très incertain si le pouvoir dépendait de pensées et de fautes intérieures. Autre preuve : puisque l’Église est visible, il convient que son pouvoir de gouvernement soit à sa manière non de pures cogitations mentales. C’est une raison « a priori », car dans un tel cas l’Église ne retire pas le pouvoir par son droit humain, puisqu’elle ne juge pas de ce qui est interne, comme nous le dirons plus loin. Et le pouvoir n’est pas non plus enlevé par la force du simple droit divin, parce que celui-ci ou est naturel, c’est-à-dire connaturel aux dons surnaturels eux-mêmes, ou est établi par détermination positive. Le premier membre du dilemme ne peut être accepté, parce que par la nature même des choses on ne peut démontrer une connexion nécessaire entre la foi et le pouvoir de juridiction ; et aussi parce que le pouvoir d’ordre est encore plus surnaturel, et pourtant il ne se perd pas, ce qui constitue une vérité de foi, comme on l’expose plus amplement dans le traité des Sacrements en général, et comme l’enseigne saint Thomas (II-II, q. 39, a. 3). Par conséquent, bien que la foi soit le fondement de la sanctification et des dons qui lui appartiennent, elle n’est toutefois pas le fondement des autres pouvoirs et grâces, qui sont accordés au bénéfice des autres hommes. Le second membre du dilemme s’élimine par la simple observation que ni par la Tradition ni par l’Écriture il n’est possible de démontrer l’existence de ce droit divin-positif. Enfin, il est conforme à la raison que, de même que la juridiction ecclésiastique n’est conférée que par quelque action humaine — que cette action soit seulement désignative, c’est-à-dire élective de la personne, comme dans le cas du Souverain Pontife, ou qu’elle soit collative du pouvoir, comme dans les autres cas —, de même elle ne doit être retirée que par quelque action externe, car dans les deux situations on doit garder la proportion due, en tenant compte de la condition et de la nature de l’homme⁴. »

 

  1. c) opinionaujourd’hui abandonnée. Comme nous l’avons vu, cette deuxième opinion— de la perte du Pontificat par hérésie uniquement interne — repose sur la thèse, aujourd’hui abandonnée par la majorité des théologiens, selon laquelle même l’hérésie non extériorisée déterminerait la perte de la condition de membre de l’Église⁵. Entre ces deux positions il n’existe toutefois pas un lien nécessaire. Ainsi le Card. Journet, bien qu’admettant que l’hérésie seulement interne exclut de l’Église⁶, penche néanmoins pour la opinion selon laquelle le Pape hérétique n’est pas « ipso facto » destitué⁷. Suarez considère aussi que l’hérétique interne cesse d’être membre de l’Église⁸, mais il exige un acte déclaratif pour que le Pape hérétique déchoie du siège de Pierre⁹.

En termes plus généraux, il est opportun d’observer dès maintenant que, bien qu’il existe un lien intime entre l’exclusion de l’Église et la perte du Papauté, un grand nombre de théologiens ne juge néanmoins pas que la première détermine « ipso facto » la seconde¹⁰.

On comprend donc que cette opinion, selon laquelle l’hérésie uniquement interne détermine la perte du Pontificat, ait été complètement abandonnée par les théologiens.

 

¹ Dans cette matière, comme il est évident, les arguments en faveur d’une opinion constituent en général des objections aux autres, et vice-versa. Ainsi, dans le chapitre dédié à chaque opinion, nous n’exposerons que les raisons et les contre-raisons qui contiennent quelque chose de nouveau.

Dans le cas présent, il n’est pas nécessaire d’indiquer les fondements de la thèse selon laquelle le Pape peut devenir hérétique, car ils sont énoncés dans les objections soulevées contre la opinion précédente (pp. 8-13).

 

² Dans les derniers siècles, aucun auteur dont nous ayons connaissance n’a défendu cette opinion. Parmi les anciens, son principal défenseur fut le Cardinal Torquemada (oncle de l’inquisiteur du même nom — voir note 1 de la p. 37).

 

³ Suarez, « De Fide », disp. X, sect. VI, n° 2, p. 316.

 

⁴ Suarez, « De Legibus », lib. IV, cap. VII, n° 7, p. 360.

 

⁵ Les diverses positions des théologiens sur le moment où l’hérétique cesse d’être membre de l’Église peuvent être vues chez Salaverri, « De Eccl. Christi », pp. 881-882.

 

⁶ Voir Journet, « L’Eglise… », vol. II, p. 575, note 3 ; p. 821, note 3 ; p. 1064 (où il cite un passage de la Bulle « Ineffabilis Deus », de Pie IX).

 

⁷ Voir Journet, « L’Eglise… », vol. II, p. 821, note 3.

 

⁸ Voir Salaverri, « De Eccl. Christ », p. 881.

 

⁹ Voir le texte de Suarez que nous citons aux pp. 21-23.

 

¹⁰ Voir les considérations que, à ce propos, font Suarez (pp. 21-23) et saint Robert Bellarmin (p. 27).

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