Pape Hérétique : perd office après déclaration
Quatrième opinion : Le Pape hérétique ne perd le pontificat qu’après l’intervention d’un acte déclaratif
Table des matières
Introduction
- Pape hérétique : perd office après déclaration
- Quatrième opinion : Le Pape hérétique ne perd le pontificat qu’après l’intervention d’un acte déclaratif
- Défense de cette opinion par Suarez
- Arguments a priori
- Confirmation par les effets nuisibles d’une perte automatique
- Cas de l’hérésie occulte et du repentir
- Juridiction ecclésiastique et hérésie
- Réfutation de cette opinion par saint Robert Bellarmin
- Critique de la distinction de Cajetan
- Arguments des Pères de l’Église
- Incompatibilité avec l’autorité de l’Église sur le Pape
Introduction
Nous adopterons la classification présentée par saint Robert Bellarmin sur le sujet d’un pape hérétique (« De Romano Pontifice »). Voici la quatrième opinion.
Selon cette quatrième opinion, le Pape ne perd jamais le pontificat par le seul fait de tomber dans l’hérésie. Pour que sa destitution soit effective, il est nécessaire qu’il y ait un acte déclaratif de sa défection dans la foi. Comme cela est évident, une telle déclaration ne peut pas être une décision juridique au sens strict, étant donné que le Pape n’a pas de supérieur sur Terre qui le juge [1] ; mais il s’agira d’une simple déclaration non juridique, en raison de laquelle Jésus-Christ lui-même destituerait le Pape.
Les principaux défenseurs de cette quatrième opinion sont Cajetan et Suarez [2].
- Défense de cette opinion par Suarez
Après avoir réfuté l’opinion selon laquelle le Pape hérétique est automatiquement « destitué » [3], Suarez défend sa position en ces termes :
« (…) dans aucun cas, même celui de l’hérésie, le Pontife n’est privé de sa dignité et de son pouvoir immédiatement par Dieu lui-même, avant le jugement et la sentence des hommes. C’est l’opinion commune aujourd’hui : Cajetan (de Auctoritate Papae, c. 18 et 19) ; Soto (4, d. 22, quaest. 2, art. 2) ; Cano (4 de Locis, c. ult. ad 12) ; Corduba (lib. 4, q. 11).
« Plus tard, en traitant des peines des hérétiques, nous indiquerons encore d’autres auteurs, et nous montrerons de manière générale que, par la loi divine, personne n’est privé de sa dignité et de sa juridiction ecclésiastique à cause du crime d’hérésie. Nous donnons maintenant un argument a priori : étant donné qu’une telle destitution est une peine des plus graves, on ne l’encourrait ipso facto que si elle était exprimée dans la loi divine ; or, nous ne trouvons aucune loi qui l’établisse, ni en général en ce qui concerne les hérétiques, ni en particulier en ce qui concerne les évêques, ni de manière très particulière en ce qui concerne le Pape [4].
« Il n’existe pas non plus de Tradition certaine sur cette question. Le Pape ne peut pas non plus perdre sa dignité ipso facto en vertu d’une loi humaine, car cette loi devrait être établie par un inférieur, c’est-à-dire un Concile, ou par un égal, c’est-à-dire un Pape précédent ; mais ni un Concile ni un Pape précédent ne possèdent un pouvoir coercitif tel qu’ils puissent punir leur égal ou leur supérieur. Donc, etc.
(…) Vous direz qu’il pourrait y avoir une loi interprétant la loi divine. Mais cela n’aurait pas de fondement, car vous ne citez aucune loi divine de ce genre ; de plus, jusqu’à présent, aucun Concile ni aucun Pape n’a établi de loi qui aurait interprété une telle loi divine. »
Cela est confirmé par le fait qu’une telle loi serait nuisible à l’Église ; on ne pourrait donc en aucun cas croire qu’elle ait été instituée par le Christ ; ce qui précède est prouvé : si le Pape était un hérétique occulte, et pour cette raison avait perdu ipso facto sa charge, tous ses actes seraient invalides.
Vous direz que cet argument ne prouve rien en ce qui concerne un hérétique notoire et public. Mais cela n’est pas vrai, car si l’hérétique externe mais occulte peut encore être le véritable Pape, il peut de même continuer à l’être dans le cas où l’offense deviendrait connue, tant qu’aucune sentence n’a été prononcée contre lui. Et cela, à la fois parce que personne ne subit une peine si ce n’est ipso facto ou par une sentence [5] et parce que cela entraînerait des maux encore plus grands. En effet, il y aurait un doute sur le degré d’infamie nécessaire pour qu’il perde sa charge ; il en résulterait des schismes à cause de cela, et tout deviendrait incertain, surtout si, après être connu comme hérétique, le Pape maintenait sa charge par la force ou par d’autres moyens, et exerçait de nombreux actes de son office [6].
Une deuxième confirmation, qui est de grande importance : dans le cas où l’hérésie du Pape deviendrait externe, mais occulte, et qu’ensuite il se repente sincèrement, il serait placé dans une situation de perplexité totale : si il a perdu sa charge en raison de l’hérésie, il devrait absolument abandonner le pontificat, ce qui est extrêmement grave et presque contraire à la loi naturelle, car cela reviendrait à se dénoncer soi-même ; mais il ne pourrait pas non plus conserver l’épiscopat, car cela serait intrinsèquement mauvais.
Cela étant, même les défenseurs de l’opinion contraire confessent que dans ce cas, il serait licite de conserver l’épiscopat, et qu’il serait donc le véritable Pape ; c’est l’opinion commune des canonistes, et celle de la Glose (c. Nunc autem, d. 21). De là, on infère un argument évident contre eux, car, étant donné que la charge pontificale n’est pas restituée par Dieu à travers la pénitence, comme la grâce l’est, il est inouï que celui qui n’est pas le véritable Pape soit fait Pape par Dieu sans l’élection et le ministère des hommes [7].
Enfin, la foi n’est pas absolument nécessaire pour qu’un homme soit capable de juridiction spirituelle et ecclésiastique et puisse exercer des actes véritables qui exigent cette juridiction ; donc, etc. Ce qui précède est évident, étant donné que, comme l’enseignent les traités sur la pénitence et les censures, en cas de nécessité extrême, un prêtre hérétique peut absoudre, ce qui n’est pas possible sans juridiction [8].
(…) Le Pape hérétique n’est pas membre de l’Église en ce qui concerne la substance et la forme qui constituent les membres de l’Église ; mais il est la tête en ce qui concerne la charge et l’action ; et cela n’est pas surprenant, car il n’est pas la tête première et principale qui agit par son propre pouvoir, mais il est en quelque sorte instrumental, il est le vicaire de la tête principale, qui peut exercer son action spirituelle sur les membres même à travers une tête de bronze ; analogiquement, il baptise parfois à travers des hérétiques, parfois il absout, etc., comme nous l’avons déjà dit.
(…) J’affirme : s’il est hérétique et incorrigible, le Pape cesse d’être Pape dès qu’une sentence déclaratoire de son crime est prononcée contre lui par la juridiction légitime de l’Église. C’est l’enseignement communément tenu par les docteurs, et il est déduit de la première épître de saint Clément I, dans laquelle on lit que saint Pierre enseignait que le Pape hérétique doit être déposé. La raison est la suivante : il serait extrêmement nuisible à l’Église d’avoir un tel pasteur et de ne pas pouvoir se défendre dans un danger si grave ; de plus, il serait contraire à la dignité de l’Église de l’obliger à rester soumise à un Pontife hérétique sans pouvoir l’expulser ; car tel est le prêtre, tel est le peuple ; cela est confirmé par les raisons alléguées en faveur de l’opinion précédente (de la déposition ipso facto), surtout celle qui dit que l’hérésie « se répand comme le cancer », raison pour laquelle les hérétiques doivent être évités le plus tôt possible, et donc bien plus le pasteur hérétique ; mais comment peut-il être évité s’il ne cesse pas d’être pasteur ?
(…) À propos de cette conclusion, il faut donner quelques explications.
En premier lieu, qui devrait prononcer une telle sentence ? Certains disent les Cardinaux ; et l’Église pourrait sans doute leur attribuer cette faculté, surtout si cela était établi par le consentement et la détermination des Souverains Pontifes, comme cela a été fait pour l’élection. Mais jusqu’à présent, nous ne lisons nulle part que un tel jugement leur a été confié. Par conséquent, il faut dire que, de droit, il appartient à tous les Évêques de l’Église. Car, étant pasteurs ordinaires et colonnes de l’Église, il faut considérer que cette cause majeure leur appartient, et puisque par le droit humain rien n’est établi sur la matière, il faut nécessairement tenir que la cause se réfère à tous, et même au Concile général. C’est l’opinion commune des docteurs. On peut voir que le Cardinal Albano expose longuement sur ce point (« De Cardinalibus », q.35 – édition de 1584, tom.13, p.2).
Deuxième doute : comment un tel Concile pourrait-il se réunir légitimement, puisque c’est au Pape de le convoquer légitimement ? On répond, en premier lieu, que peut-être un Concile général propre ne serait pas nécessaire, mais il suffirait que dans chaque région des Conciles provinciaux ou nationaux soient convoqués par les Archevêques ou Primats, et que tous arrivent à la même conclusion. En second lieu, si un Concile général est convoqué pour définir des choses de foi ou pour promulguer des lois universelles, il est légitime seulement s’il est convoqué par le Pape ; mais s’il est convoqué pour traiter de la matière dont nous parlons, qui concerne spécialement le Pontife lui-même et lui est en quelque sorte contraire, le Concile peut être légitimement convoqué soit par le Collège des Cardinaux, soit par accord entre les Évêques ; et si le Pontife tente d’empêcher une telle réunion, on ne doit pas lui obéir, car, agissant contre la justice et le bien commun, il abuserait de son pouvoir suprême.
(…) De là naît le troisième doute : de quel droit le Pape pourrait-il être jugé par cette assemblée, puisqu’elle lui est inférieure ? Sur cela, Cajetan s’efforce extraordinairement pour ne pas être forcé d’admettre que l’Église ou le Concile est au-dessus du Pape en cas d’hérésie ; il conclut finalement qu’ils sont au-dessus du Pape, non en tant que Pape, mais en tant que personne privée. Cette distinction, cependant, ne satisfait pas, car par le même argument on pourrait dire que l’Église est tête pour juger et punir le Pape, non en tant que Pape, mais en tant que personne privée (…).
D’autres affirment que, en cas d’hérésie, l’Église est supérieure au Pape. Mais cela est difficile à admettre, car le Christ a constitué le Pape comme juge absolument suprême ; les canons affirment aussi ce principe de manière générale sans distinctions ; et, enfin, l’Église ne peut exercer aucun acte de juridiction sur le Pape, et en l’élisant elle ne lui confère pas le pouvoir mais désigne la personne à laquelle le Christ confère directement le pouvoir.
Par conséquent, en déposant un Pape hérétique, l’Église n’agirait pas comme supérieure à lui, mais juridiquement, et par consentement du Christ, elle le déclarerait hérétique et donc absolument indigne des honneurs pontificaux [9] ; il serait alors ipso facto et immédiatement déposé par le Christ, et une fois déposé il deviendrait inférieur et pourrait être puni [10].
De plus, la deuxième affirmation de Cajetan, que le Pape hérétique peut être véritablement et autoritativement déposé par l’Église, n’est pas moins fausse que la première. Car si l’Église dépose le Pape contre sa volonté, elle est certainement au-dessus du Pape ; pourtant Cajetan lui-même défend, dans le même traité, le contraire de cela. Cajetan répond que l’Église, en déposant le Pape, n’a pas d’autorité sur le Pape, mais seulement sur le lien qui unit la personne au Pontificat. De la même manière que l’Église, en unissant le Pontificat à telle personne, n’est pas pour cela au-dessus du Pontife, de même l’Église peut séparer le Pontificat de telle personne en cas d’hérésie, sans dire qu’elle est au-dessus du Pontife.
Mais contre cela il faut observer en premier lieu que, du fait que le Pape dépose des Évêques, on déduit que le Pape est au-dessus de tous les Évêques, bien que le Pape en déposant un Évêque ne détruise pas la juridiction épiscopale, mais seulement la sépare de cette personne. En second lieu, déposer quelqu’un du Pontificat contre la volonté du déposé est sans doute une peine ; donc, l’Église, en déposant un Pape contre sa volonté, sans doute le punit ; or, punir est propre à un supérieur ou juge. En troisième lieu, étant donné que, selon Cajetan et les autres thomistes, en réalité le tout et les parties prises ensemble sont la même chose, celui qui a autorité sur les parties prises ensemble, pouvant les séparer entre elles, a aussi autorité sur le tout propre constitué par ces parties.
Et l’exemple des électeurs donné par Cajetan ne vaut rien, qui ont le pouvoir de désigner une certaine personne pour le Pontificat, sans cependant avoir pouvoir sur le Pape. Car, quand quelque chose est en train d’être fait, l’action s’exerce sur la matière de la chose future, et non sur le composé, comme cela devient patent dans la considération des choses de la nature. Par conséquent, en créant le Pontife, les Cardinaux n’exercent pas leur autorité sur le Pontife, car celui-ci n’existe pas encore, mais sur la matière, c’est-à-dire sur la personne qui par l’élection devient disposée à recevoir de Dieu le Pontificat. Mais si après le Pontife existe, ils exerceraient nécessairement autorité sur le composé, c’est-à-dire sur la personne dotée du pouvoir pontifical, c’est-à-dire sur le Pontife [11].
La juridiction est perdue, en principe, par le fait même de la chute en hérésie (voir pp.30-31), nous vérifions que les affirmations de saint Robert Bellarmin restent entièrement défendables pourvu qu’elles soient nuancées sur ces deux points.
Pour une compréhension parfaite de ce qui vient d’être dit, il est nécessaire d’avoir présent à l’esprit ce que nous avons observé au chapitre VII de cette Partie I (pp.30ss.).
Saint Robert Bellarmin, « De Rom. Pont. », lib.II, cap.30, pp.418-420 [12].
Les Saints Pères enseignent unanimement, non seulement que les hérétiques sont hors de l’Église, mais aussi qu’ils sont ipso facto privés de toute juridiction et dignité ecclésiastiques. Saint Cyprien (lib. 2, epist. 6) dit : « nous affirmons que absolument tous les hérétiques et schismatiques n’ont aucun pouvoir ni droit », et il enseigne aussi (lib. 2, epist. 1) que les hérétiques qui reviennent à l’Église doivent être reçus comme laïcs, même s’ils avaient auparavant été prêtres ou Évêques dans l’Église. Saint Optat (lib. 1 cont. Parmen.) enseigne que les hérétiques et schismatiques ne peuvent avoir les clefs du royaume des cieux, ni lier ni délier. Le même enseignent saint Ambroise (lib. 1 de poenit., cap. 2), saint Augustin (in Enchir., cap. 65), saint Jérôme (lib. cont. Lucifer) (…) [13].
Le Pape saint Célestin I (epist. ad Jo. Antioch., qui figure dans le Conc. d’Éphèse, tom.I, cap.19) écrivit : « Il est évident qu’il est resté et reste en notre communion, et nous ne considérons pas déposé, celui qui a été excommunié ou privé de charge, qu’elle soit épiscopale ou cléricale, par l’Évêque Nestorius ou par d’autres qui le suivent, après que ceux-ci ont commencé à prêcher l’hérésie. Car la sentence de celui qui s’est déjà révélé comme devant être déposé ne peut déposer personne. »
Et dans une lettre au clergé de Constantinople, le Pape saint Célestin I dit : « L’autorité de notre Siège Apostolique a déterminé que le Bishop, clerc ou simple chrétien qui a été déposé ou excommunié par Nestorius ou ses partisans, après que ceux-ci ont commencé à prêcher l’hérésie, ne doit pas être considéré comme déposé ou excommunié. Car celui qui avec de telles prédications a défailli dans la foi ne peut déposer ou enlever quiconque. »
Le même est répété et confirmé par saint Nicolas I (Epist. ad Michael). Enfin, saint Thomas enseigne aussi (S. Theol., I-II, 39, 3) que les schismatiques perdent immédiatement toute juridiction, et que ce qu’ils tentent de faire sur la base de quelque juridiction sera nul. Il n’y a pas de fondement à ce que certains répondent à cela : que ces Pères se basent sur le droit ancien, alors qu’actuellement, par le décret du Concile de Constance, seuls perdent la juridiction ceux qui sont nominalement excommuniés et ceux qui agressent des clercs. Cet argument – dis-je – n’a aucune valeur, car ces Pères, affirmant que les hérétiques perdent la juridiction, n’allèguent aucun droit humain, qui peut-être n’existait pas sur la matière à cette époque, mais argumentent sur la base de la nature même de l’hérésie. Le Concile de Constance traite seulement des excommuniés, c’est-à-dire de ceux qui perdent la juridiction par sentence de l’Église, alors que les hérétiques déjà avant d’être excommuniés sont hors de l’Église et privés de toute juridiction. Car ils ont déjà été condamnés par leur propre sentence, comme l’enseigne l’Apôtre (Tit. 3,10-11), c’est-à-dire qu’ils ont été coupés du corps de l’Église sans excommunication, comme l’explique saint Jérôme [14].
Selon le Droit Canonique actuel, il n’y a pas de déposition « latae sententiae » ; par conséquent, les Évêques et prêtres hérétiques continuent d’occuper leurs charges et de jouir de juridiction jusqu’à ce qu’ils soient déposés par leurs supérieurs (voir note 5 de la p.30). Cette détermination contredit-elle les principes que saint Robert Bellarmin expose dans le passage cité ici ?
En partie oui, car il n’admet en aucune manière la permanence de la juridiction chez l’hérétique manifeste. Cependant, si nous considérons que le Pape peut soutenir, en vue du bien de l’Église, la juridiction chez l’hérétique (voir pp.31-32), et si nous considérons que le détenteur de la [15] juridiction la perd, en principe, par le fait même de sa chute en hérésie (voir pp.30-31), nous vérifions que les affirmations de saint Robert Bellarmin restent entièrement défendables pourvu qu’elles soient nuancées sur ces deux points.
Pour une compréhension parfaite de ce qui vient d’être dit, il est nécessaire d’avoir présent à l’esprit ce que nous avons observé au chapitre VII de cette Partie I (pp.30ss.).
Saint Robert Bellarmin, « De Rom. Pont. », lib.II, cap.30, pp.418-420 [16].
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[1] Cette affirmation de Suarez ne semble pas fondée. Car saint Paul (Tit. 3,10) et saint Jean (Jn. 10-11) commandent d’éviter l’hérétique. Or – demande saint Robert Bellarmin en contestant Suarez – « comment éviterions-nous notre propre tête ? Comment nous éloignerions-nous d’un membre uni à nous ? » (nous citons ce texte intégralement à la p.24).
[2] Rappelons que Suarez est partisan de la première opinion, défendant cette quatrième seulement dans l’hypothèse – qu’il juge moins probable – que le Pontife puisse tomber dans l’hérésie (voir le texte que nous avons cité à la p.8). – Cajetan, au contraire, admet positivement la possibilité de la défection du Pape dans la foi (« De Comparatione… », pp.112ss.), comme c’était d’ailleurs l’opinion commune à son époque.
[3] L’emploi du terme « déposition » dans cette matière théologique est devenu classique. Sont courants, par exemple, les aphorismes « Papa haereticus est depositus » (« le Pape hérétique est déposé ») et « Papa haereticus non est depositus sed deponendus » (« le Pape hérétique n’est pas déposé, mais doit être déposé ») – aphorismes qui expriment respectivement les thèses de la perte automatique du Papat et de la perte après déclaration (voir explication dans Journet, « L’Eglise… », vol.I, p.626).
Comme il est évident, dans ce contexte théologique le terme « déposition » ne peut être compris dans son sens vulgaire, car ainsi on tomberait dans le conciliarisme, c’est-à-dire qu’on admettrait qu’un pouvoir humain – normalement le Concile – pourrait déposer le Pontife de sa charge.
Dans les aphorismes référés et chez les auteurs orthodoxes qui parlent de « déposition » dans ce contexte théologique, le mot indique seulement la perte du Papat. C’est ce qu’on verra dans le texte de Suarez que nous citons ci-après.
Il nous semble qu’en nos jours il serait commode d’éliminer le terme « déposition » des débats sur le sujet, puisque dans le domaine civil il indique exclusivement l’acte par lequel quelqu’un dépose un autre d’une charge. De cette façon, nous défendrions plus commodément les thèses traditionnelles contre le néo-conciliarisme qui renaît aujourd’hui autour de nous.
[4] Cette affirmation de Suarez ne semble pas fondée. Car saint Paul (Tit. 3,10) et saint Jean (Jn. 10-11) commandent d’éviter l’hérétique. Or – demande saint Robert Bellarmin en contestant Suarez – « comment éviterions-nous notre propre tête ? Comment nous éloignerions-nous d’un membre uni à nous ? » (nous citons ce texte intégralement à la p.24).
[5] Comme nous voyons, l’opinion attaquée ici par Suarez est la cinquième énoncée par saint Robert Bellarmin, à laquelle il adhère (voir tableau synoptique à la p.6, position B-II-2 ; et pp.27ss.).
Il est incontestable que l’application concrète de cette opinion à l’éventuel cas d’un Pape hérétique pourrait entraîner les confusions et malheurs les plus graves pour l’Église. Il nous semble cependant que, supposée l’hypothèse d’un Pape hérétique, ces confusions et malheurs suivraient inéluctablement, quelle que soit l’opinion des théologiens adoptée. Considérées seulement du point de vue des schismes, confusions et rivalités qui pourraient surgir, nous ne voyons pas comment préférer une opinion aux autres. Exemplifions seulement avec la position de Suarez : quelles divisions profondes ne pourraient surgir si certains Cardinaux et Évêques déclaraient le Pape hérétique, tandis que d’autres le soutenaient !
Nous croyons cependant que le vrai point de vue sous lequel la question doit être focalisée n’est pas celui-ci. Fondamentalement, il ne s’agit pas de demander quelle opinion conserverait le mieux la « paix », mais quelle conserverait le mieux la foi, et quelle serait le plus en accord avec l’institution divine de l’Église. Et sous ce point de vue, comme nous le dirons plus loin (pp.30 et ss.), nous jugeons qu’il y a des raisons solides pour embrasser, avec saint Robert Bellarmin, Wernz-Vidal et d’autres, la cinquième opinion.
[6] Aujourd’hui cela ne sonnerait pas si mal, aux oreilles de beaucoup de théologiens, la thèse selon laquelle celui qui n’est pas le vrai Pape peut être « fait Pape par Dieu sans l’élection et le ministère des hommes ». Car saint Alphonse de Liguori admet, en principe, une telle éventualité. Il enseigne qu’un Pape intrus deviendrait vrai lorsqu’il serait accepté pacifiquement par l’Église universelle. C’est un point de doctrine peu connu et extrêmement délicat, que nous analysons aux pp.40-42.
[7] Voir pp.30-31 les observations que nous faisons sur l’incompatibilité en principe, mais non absolue, qui existe entre l’hérésie et la juridiction ecclésiastique.
[8] Voici l’objection principale qui peut être élevée contre cette quatrième opinion. Comme Suarez le démontre, Cajetan ne l’a pas affrontée avec succès. Il nous semble que la solution présentée par Suarez ne satisfait pas non plus, comme nous le dirons plus loin (p.32).
[9] C’est le point central – et qui nous semble faible – de l’argumentation de Suarez. Il admet que le Concile, bien qu’inférieur au Pape, pourrait néanmoins « juridiquement » le déclarer hérétique et destitué de charge. Ainsi, le Concile serait, au sens propre, en train de juger le Pape – et cette faculté ne peut être admise lui appartenir, pas même en cas d’hérésie dans la personne du Pontife. Il ne suffit pas de dire que le Concile ne déposerait pas le Pape, mais seulement le jugerait et le Christ le déposerait – car même ce pouvoir de juger un Pape n’existe pas.
[10] De plus, la deuxième affirmation de Cajetan, que le Pape hérétique peut être véritablement et autoritativement déposé par l’Église, n’est pas moins fausse que la première. Car si l’Église dépose le Pape contre la volonté de celui-ci, elle est certainement au-dessus du Pape ; pourtant Cajetan lui-même défend, dans le même traité, le contraire de cela. Cajetan répond que l’Église, en déposant le Pape, n’a pas autorité sur le Pape, mais seulement sur le lien qui unit la personne au Pontificat. De la même manière que l’Église, en unissant le Pontificat à telle personne, n’est pas pour cela au-dessus du Pontife, de même l’Église peut séparer le Pontificat de telle personne en cas d’hérésie, sans dire qu’elle est au-dessus du Pontife.
Mais contre cela il faut observer en premier lieu que, du fait que le Pape dépose des Évêques, on déduit que le Pape est au-dessus de tous les Évêques, bien que le Pape en déposant un Évêque ne détruise pas la juridiction épiscopale, mais seulement la sépare de cette personne. En second lieu, déposer quelqu’un du Pontificat contre la volonté du déposé est sans doute une peine ; donc, l’Église, en déposant un Pape contre sa volonté, sans doute le punit ; or, punir est propre à un supérieur ou juge. En troisième lieu, étant donné que, selon Cajetan et les autres thomistes, en réalité le tout et les parties prises ensemble sont la même chose, celui qui a autorité sur les parties prises ensemble, pouvant les séparer entre elles, a aussi autorité sur le tout propre constitué par ces parties.
Et l’exemple des électeurs donné par Cajetan ne vaut rien, qui ont le pouvoir de désigner une certaine personne pour le Pontificat, sans cependant avoir pouvoir sur le Pape. Car, quand quelque chose est en train d’être fait, l’action s’exerce sur la matière de la chose future, et non sur le composé, comme cela devient patent dans la considération des choses de la nature. Par conséquent, en créant le Pontife, les Cardinaux n’exercent pas leur autorité sur le Pontife, car celui-ci n’existe pas encore, mais sur la matière, c’est-à-dire sur la personne qui par l’élection devient disposée à recevoir de Dieu le Pontificat. Mais si après le Pontife existe, ils exerceraient nécessairement autorité sur le composé, c’est-à-dire sur la personne dotée du pouvoir pontifical, c’est-à-dire sur le Pontife.
[11] La juridiction est perdue, en principe, par le fait même de la chute en hérésie (voir pp.30-31), nous vérifions que les affirmations de saint Robert Bellarmin restent entièrement défendables pourvu qu’elles soient nuancées sur ces deux points.
[12] Saint Robert Bellarmin, « De Rom. Pont. », lib.II, cap.30, pp.418-420.
[13] Les Saints Pères enseignent unanimement, non seulement que les hérétiques sont hors de l’Église, mais aussi qu’ils sont ipso facto privés de toute juridiction et dignité ecclésiastiques. Saint Cyprien (lib. 2, epist. 6) dit : « nous affirmons que absolument tous les hérétiques et schismatiques n’ont aucun pouvoir ni droit », et il enseigne aussi (lib. 2, epist. 1) que les hérétiques qui reviennent à l’Église doivent être reçus comme laïcs, même s’ils avaient auparavant été prêtres ou Évêques dans l’Église. Saint Optat (lib. 1 cont. Parmen.) enseigne que les hérétiques et schismatiques ne peuvent avoir les clefs du royaume des cieux, ni lier ni délier. Le même enseignent saint Ambroise (lib. 1 de poenit., cap. 2), saint Augustin (in Enchir., cap. 65), saint Jérôme (lib. cont. Lucifer) (…).
[14] Selon le Droit Canonique actuel, il n’y a pas de déposition « latae sententiae » ; par conséquent, les Évêques et prêtres hérétiques continuent d’occuper leurs charges et de jouir de juridiction jusqu’à ce qu’ils soient déposés par leurs supérieurs (voir note 5 de la p.30). Cette détermination contredit-elle les principes que saint Robert Bellarmin expose dans le passage cité ici ?
En partie oui, car il n’admet en aucune manière la permanence de la juridiction chez l’hérétique manifeste. Cependant, si nous considérons que le Pape peut soutenir, en vue du bien de l’Église, la juridiction chez l’hérétique (voir pp.31-32), et si nous considérons que le détenteur de la juridiction la perd, en principe, par le fait même de sa chute en hérésie (voir pp.30-31), nous vérifions que les affirmations de saint Robert Bellarmin restent entièrement défendables pourvu qu’elles soient nuancées sur ces deux points.
[15] Pour une compréhension parfaite de ce qui vient d’être dit, il est nécessaire d’avoir présent à l’esprit ce que nous avons observé au chapitre VII de cette Partie I (pp.30ss.).
[16] Saint Robert Bellarmin, « De Rom. Pont. », lib.II, cap.30, pp.418-420.
(Cette traduction française est faite directement à partir du texte portugais original)