5° Opinion est la DOCTRINE COMMUNE : TOMBÉ DANS L’HÉRÉSIE MANIFESTE,  LE PAPE PERD « IPSO FACTO » LE PONTIFICAT

La 5° Opinion est la Doctrine Commune :

TOMBÉ DANS L’HÉRÉSIE MANIFESTE,  LE PAPE PERD « IPSO FACTO » LE PONTIFICAT

 

Table des matières  

 

Introduction : cette cinquième opinion est la doctrine de l’Eglise

 

I.Cette cinquième opinion est défendue par de nombreux théologiens de renom

  1. Défense de cette opinion par saint Robert Bellarmin  
  2. Défense de cette opinion par le P. Pietro Ballerini  
  3. Subdivision de cette cinquième opinion
  4. Appréciation sur cette opinion

II. En défense de la cinquième opinion énumérée par Saint Robert Bellarmin

1. Possibilité d’un Pape hérétique  

2. Incompatibilité « en racine »  

3. La juridiction de l’hérétique  

4. La question centrale  

5. S’exclut la nécessité d’une déclaration  

6. Degré de notoriété et de divulgation  

III. Conclusion

N.B.

Notes  

 

 

Introduction:

 

Nous revenons à ce qui a été dit dans le chapitre sur les 5 opinions de St Bellarmin : que cette cinquième opinion est celle de à peu près tous les auteurs, inclusivement Dr. St Bellermin même, et elle est préconisée par le premier concile du Vatican (1870) dont voici les détails :

  • Le Concile Vatican I (1870) affirme de suivre Saint Bellarmin

À la session de juillet du premier Concile du Vatican, le rapporteur général, Mgr. Vinzenz Gasser (1809-1879), rejeta l’accusation formulée contre la Députation par certains Pères conciliaires, selon laquelle ils suivaient l’opinion d’Alberto Pighius, selon laquelle le Pape ne pourrait jamais tomber dans l’hérésie, même en tant que personne privée. Il expliqua que la doctrine du Concile du Vatican n’était ni celle d’Alberto Pighi, ni l’opinion extrême d’aucune école, mais bien celle de Saint Robert Bellarmin, qui admet cette possibilité dans ses Controverses.  (Mansi, vol. 52, col. 1218)

– Contexte historique de la citation

La déclaration rapportée provient de l’intervention officielle (appelée relatio) prononcée le 11 juillet 1870 par Mgr Vincent Gasser (évêque de Brixen, rapporteur général de la Députation de Foi), lors de la 45e congrégation générale du Concile, en vue de la définition du dogme de l’infaillibilité pontificale (constitution Pastor aeternus, chapitre 4).

Cette relatio défend le schéma doctrinal contre les accusations portées par certains Pères conciliaires (comme Mgr Riccio di Mondragone), qui reprochaient à la Députation de suivre l’opinion « extrême » d’Alberto Pighius (ou Pigge, théologien Hollandais du XVIe siècle, mort en 1542), selon laquelle le Pape ne pourrait jamais tomber dans l’hérésie, même en tant que personne privée.

Mgr Gasser rejette cette accusation en expliquant que la doctrine du schéma n’est ni celle de Pighius seul (jugée « extrême » par certains), ni une opinion isolée, mais bien celle de saint Robert Bellarmin (théologien du XVIe siècle, mort en 1621), qui admet cette possibilité (c’est-à-dire la chute potentielle du Pape dans l’hérésie en tant que personne privée, sans que cela affecte son office infaillible).

– Le texte original de la relatio de Mgr Gasser

Voici l’extrait pertinent de la relatio :

Latin original (tiré de Collectio Lacensis, vol. 7, coll. 530-531) : « Quod ad doctrinam, quae in Schemate proponitur, attinet, iniuste Deputatio accusatur, quasi velimus extremam cuiusdam scholae theologorum opinionem, videlicet Alberti Pighii, ad dogmaticam dignitatem evolvere. Nam Alberti Pighii sententia, quam Bellarminus quidem piæ et probabiles nominat, fuit, Pontificem ut personam privatam aut doctorem privatum ex quadam ignorantia errare posse, sed nunquam in haeresim incidere aut haeresim docere posse. […] De sententia autem Bellarmini haec dicuntur. […] At doctrina, quae in Schemate proponitur, nec Alberti Pighii est, nec alicuius scholae extremæ, sed Bellarmini, qui hanc possibilitatem in suis Controversiis admittit. »

Traduction littérale : « Quant à la doctrine qui est proposée dans le Schéma, la Députation est injustement accusée, comme si nous voulions élever à la dignité dogmatique l’opinion extrême d’une certaine école de théologiens, à savoir celle d’Alberto Pighius. Car l’opinion d’Alberto Pighius, que Bellarmin nomme en effet pieuse et probable, était que le Pontife, en tant que personne privée ou docteur privé, pouvait errer par une certaine ignorance, mais ne pouvait jamais tomber dans l’hérésie ni enseigner l’hérésie. […] Concernant l’opinion de Bellarmin, on dit ceci. […] Mais la doctrine qui est proposée dans le Schéma n’est ni celle d’Alberto Pighius, ni l’opinion extrême d’aucune école, mais bien celle de Bellarmin, qui admet cette possibilité dans ses Controverses. »

Puisque dans ce Concile œcuménique infaillible du Vatican I en 1870, a été affirmé qu’il fallait suivre Saint Bellarmin dans la question d’un pape hérétique, nous aussi allons suivre Saint Bellarmin plutôt que d’autres auteurs tels que Cajetan.

 

 

I. Cette opinion est défendue par de nombreux théologiens de renom, tels que saint Robert Bellarmin, Sylvius, Pietro Ballerini, Wernz-Vidal, le cardinal Billot¹.  

 

    1. Défense de cette opinion par saint Robert Bellarmin

 

Après avoir réfuté les autres opinions sur le sujet, saint Robert Bellarmin expose sa position en ces termes :

« Donc, l’opinion vraie est la cinquième, selon laquelle le Pape et tête, de la même manière qu’il cesse par lui-même d’être chrétien et membre du corps de l’Église ; et c’est pourquoi il peut être jugé et puni par l’Église. Telle est la opinion de tous les anciens Pères, qui enseignent que les hérétiques manifestes perdent immédiatement toute juridiction, et notamment de saint Cyprien (liv. 4, ép. 2), qui s’exprime ainsi à propos de Novatien, qui fut Pape (antipape) dans le schisme survenu pendant le pontificat de saint Corneille : « Il ne pourrait conserver l’épiscopat, et, s’il avait été auparavant fait évêque, il s’est éloigné du corps de ceux qui comme lui étaient évêques et de l’unité de l’Église. » Selon ce que dit saint Cyprien dans ce passage, même si Novatien avait été vrai et légitime Pape, il aurait néanmoins déchu automatiquement du pontificat s’il s’était séparé de l’Église.

Telle est la opinion de grands docteurs récents, comme Jean Driedo (liv. 4 de Script. et dogmat. Eccles. cap. 2, par. 2, sent. 2), qui enseigne que seuls séparent de l’Église ceux qui sont expulsés, comme les excommuniés, et ceux qui par eux-mêmes s’en éloignent et s’y opposent, comme les hérétiques et les schismatiques. Et, dans sa septième affirmation, il soutient que chez ceux qui se sont éloignés de l’Église, il ne reste absolument aucun pouvoir spirituel sur ceux qui sont dans l’Église. Le même dit Melchior Cano (liv. 4 de loc., cap. 2), enseignant que les hérétiques ne sont ni parties ni membres de l’Église, et qu’on ne peut même pas concevoir que quelqu’un soit tête et Pape, sans être membre et partie (cap. ult. ad argument. 12). Et il enseigne au même endroit, avec des paroles claires, que les hérétiques occultes sont encore de l’Église, sont parties et membres, et que donc le Pape hérétique occulte est encore Pape. Telle est aussi la opinion des autres auteurs que nous citons dans le livre 1 « De Eccles. ».

Le fondement de cette opinion est que l’hérétique manifeste n’est d’aucune manière membre de l’Église, c’est-à-dire ni spirituellement ni corporellement, ce qui signifie qu’il ne l’est ni par union interne ni par union externe. Car même les mauvais catholiques sont unis et sont membres, spirituellement par la foi, corporellement par la confession de la foi et par la participation aux sacrements visibles ; les hérétiques occultes sont unis et sont membres, bien que seulement par union externe ; au contraire, les catéchumènes bons appartiennent à l’Église seulement par une union interne, non par l’externe ; mais les hérétiques manifestes n’appartiennent d’aucune manière, comme nous l’avons déjà prouvé². »

 

    1. Défense de cette opinionpar le P. Pietro Ballerini

Il nous semble très éclairante l’explication que donne de sa position un autre défenseur de cette cinquième opinion, le P. Pietro Ballerini, éminent théologien italien du XVIIIe siècle. Après avoir observé que le Concile ne pourrait se prononcer sur le Pape hérétique que si celui-ci était déjà déposé, le P. Ballerini considère :

« Un danger pour la foi si imminent et entre tous gravissime, comme celui d’un Pontife qui, bien que seulement en privé, propageât l’hérésie, ne pourrait supporter de délais. Car, alors, attendre que le remède vienne d’un Concile général, dont la convocation n’est pas facile ? N’est-il pas vrai que, devant un tel danger pour la foi, n’importe quels sujets peuvent par la correction fraternelle avertir leur supérieur, lui résister en face, le réfuter et, si nécessaire, l’interpeller et le presser pour qu’il se repente ? Les cardinaux pourront le faire, qui sont ses conseillers ; ou le clergé romain ; ou le Synode romain si, réuni, il juge cela opportun. Pour toute personne, même privée, valent les paroles de saint Paul à Tite : « Évite l’hérétique, après la première et la seconde correction, sachant qu’un tel homme est perverti et pèche, une fois qu’il a été condamné par son propre jugement » (Tit. 3, 10-11). Car la personne qui, avertie une ou deux fois, ne se repent pas, mais se maintient pertinace dans une opinion contraire à un dogme manifeste ou défini – ne pouvant, en raison de cette pertinacité publique, être excusée d’aucune manière de l’hérésie proprement dite, qui requiert la pertinacité – cette personne se déclare à elle-même ouvertement hérétique. Elle révèle que par sa propre volonté elle s’est éloignée de la foi catholique et de l’Église, de telle sorte qu’il n’est déjà plus nécessaire aucune déclaration ou opinion de qui que ce soit pour la couper du corps de l’Église. Très clair en cette matière est l’argument donné par saint Jérôme à propos des paroles citées de saint Paul : « C’est pourquoi on dit que l’hérétique s’est condamné lui-même : parce que le fornicateur, l’adultère, l’homicide et les autres pécheurs sont expulsés de l’Église par les prêtres ; mais les hérétiques prononcent la opinion contre eux-mêmes, s’excluant de l’Église spontanément : exclusion qui est leur condamnation par leur propre conscience. » Donc le Pontife qui, après une si solennelle et publique avertissement par les cardinaux, par le clergé romain ou même par le Synode, se maintiendrait endurci dans l’hérésie et s’éloignerait ouvertement de l’Église, devrait être évité, conformément au précepte de saint Paul. Pour qu’il ne cause préjudice aux autres, sa hérésie et sa contumace devraient être proclamées publiquement, afin que tous puissent également se prémunir à son égard. Ainsi, la opinion qu’il a prononcée contre lui-même serait proposée à toute l’Église, rendant clair que par volonté propre il s’est éloigné et séparé du corps de l’Église, et qu’en quelque manière il a abdiqué du pontificat, dont personne ne jouit ou ne peut jouir s’il n’appartient pas à l’Église. On voit donc qu’en cas d’hérésie, à laquelle le Pontife adhérerait en privé, il y aurait un remède immédiat et efficace, sans convocation du Concile général : car dans cette hypothèse ce qui se ferait contre lui avant la déclaration de sa contumace et hérésie, dans le but de l’appeler à la raison, constituerait un devoir de charité, non de juridiction ; et après que son éloignement de l’Église ait été manifesté, si une opinion était prononcée contre lui par le Concile, une telle opinion serait portée contre qui n’est déjà plus Pape ni supérieur au Concile³. »

 

C. Subdivision de cette cinquième opinion

 

À notre avis, cette cinquième opinion devrait être subdivisée en trois⁴.

1° Certains auteurs affirment que le Pape perd « ipso facto » le pontificat au moment où il extériorise son hérésie.

2° D’autres soutiennent que cette perte se produit quand l’hérésie arrive à la connaissance d’un certain nombre de personnes, même réduit.

3° D’autres, enfin, jugent que le Pape hérétique ne déchoit de la Siège romain que lorsque son hérésie devient « notoire et divulguée publiquement »⁵.

– Cette divergence est liée à la dispute multisécular, qui divise encore aujourd’hui les théologiens, sur le moment exact où l’hérétique cesse d’être membre de l’Église⁶. Nous ne jugeons pas nécessaire d’exposer ici, en détail, les particularités des diverses subdivisions de cette cinquième opinion. Il nous semble dispensable, aussi, d’indiquer de manière précise la position de chaque adepte de cette opinion – d’autant plus que beaucoup d’entre eux ne sont pas clairs à ce sujet. Nous ferons seulement de brèves observations sur la pensée de saint Robert Bellarmin et de Wernz-Vidal.

 

– Salvo meliori judicio, il nous semble que saint Robert Bellarmin n’a pas laissé suffisamment claire sa thèse sur le moment où le Pape hérétique perdrait « ipso facto » le pontificat.

Il dit que cela se produirait quand l’hérésie deviendrait « manifeste » ; et il oppose le concept de « manifeste » à celui de « occulte »⁷. Or, l’hérésie occulte peut être interne (occulte « per se »), comme elle peut être externe mais inconnue d’autrui (occulte « per accidens »). Si on attribue à saint Robert Bellarmin la première de ces interprétations, le Pape perdrait le pontificat au moment où il extérioriserait son hérésie, même si personne ne le percevait. Si on lui attribue la seconde interprétation, la perte du pontificat se produirait quand quelques autres personnes – peut-être une seule – sauraient du fait.

Cabrerait-il encore une troisième interprétation ? Pourrait-on comprendre comme hérésie occulte celle qui est déjà du connaissance de beaucoup de personnes, mais n’a pas encore atteint le grand public, n’est pas encore devenue « notoire et divulguée publiquement » ? – Une telle interprétation est adoptée par Wernz-Vidal, qui affirme même, sans hésiter, que selon saint Robert Bellarmin le Pape hérétique ne serait destitué que quand sa défection dans la foi deviendrait « notoire et divulguée publiquement »⁸.

 

D. Appréciation sur cette opinion

Nous nous dispensons de présenter à nouveau les raisons qui peuvent être alléguées contre cette cinquième opinion. Elles ont déjà été exposées dans les pages précédentes⁹.

Comme nous le dirons dans le chapitre suivant, nous jugeons que cette cinquième opinion est la vraie, et que Wernz-Vidal a raison de dire – en interprétant saint Robert Bellarmin – que le Pape éventuellement hérétique perd le pontificat « ipso facto », au moment où son hérésie devient « notoire et divulguée publiquement ».

 

II. EN DÉFENSE DE LA CINQUIÈME OPINION ÉNUMÉRÉE PAR SAINT ROBERT BELLARMIN  

 

Au long des chapitres précédents nous avons déjà fait quelques réflexions sur les arguments allégués par les diverses écoles. Nous désirons maintenant présenter une vue d’ensemble des conclusions auxquelles l’examen du sujet nous a conduits.

 

II.1. Possibilité d’un Pape hérétique

 

On ne trouve pas, dans l’Écriture et la Tradition¹⁰, de raisons qui démontrent l’impossibilité de la chute d’un Pape en hérésie. Au contraire, de nombreux témoignages de la Tradition parlent en faveur de la possibilité d’une telle chute. Étant donné cela, nous devons considérer comme théologiquement possible qu’un Pape tombe en hérésie, et étudier les conséquences qu’un tel fait apporterait à la vie de l’Église.

 

II.2. Incompatibilité « en racine »

 

L’Écriture et la Tradition rendent patente l’existence d’une profonde incompatibilité, en racine, entre la condition d’hérétique et la possession de juridiction ecclésiastique¹¹, une fois que l’hérétique cesse d’être membre de l’Église¹².

Cette incompatibilité est telle que normalement ne se coadunent pas la condition d’hérétique et la détention d’une juridiction ecclésiastique. Néanmoins, elle n’est pas absolue, c’est-à-dire n’est pas telle que, tombant en hérésie interne, ou même externe, le détenteur de la juridiction ecclésiastique soit destitué du charge « ipso facto », dans tous les cas et immédiatement.

Les arguments présentés par les divers auteurs à propos de ce dernier point sont décisifs, et le sont particulièrement les arguments tirés de la pratique de l’Église : par le Code de droit canonique l’hérétique ne perd la juridiction que quand contre lui est prononcée opinion condamnatoire ou déclaratoire¹³ ; les prêtres qui ont abandonné l’Église ont juridiction pour donner l’absolution à des personnes en danger de vie ; il est communément admis que les évêques schismatiques orientaux (eux aussi hérétiques) jouissent d’une juridiction que les Papes leur concèdent tacitement¹⁴ ; etc.

C’est pourquoi nous n’appelons pas cette incompatibilité « absolue », mais nous parlons seulement d’« incompatibilité en racine ». L’hérésie coupe la racine et fondement de la juridiction, c’est-à-dire la foi et la condition de membre de l’Église. Mais elle n’élimine pas « ipso facto » et nécessairement la juridiction elle-même. De même qu’un arbre peut conserver la vie encore quelque temps après qu’on lui a coupé la racine, de même aussi, en des cas fréquents, la juridiction perdure même après la chute en hérésie de celui qui la possédait¹⁵.

Cependant, la juridiction n’est conservée dans la personne de l’hérétique qu’à titre précaire, en état de violence et dans la mesure où l’exige une raison précise et évidente, dictée par le bien de l’Église ou des âmes. – Reste ainsi éliminée la position selon laquelle en aucune hypothèse le Pape hérétique perdrait le charge (troisième opinion énumérée par saint Robert Bellarmin) ; en outre, cette position a contre elle d’autres arguments de poids tirés de la Tradition et de la raison naturelle¹⁶.

II. 3. La juridiction de l’hérétique

Déjà coupée en sa racine, la juridiction de l’hérétique subsiste seulement dans la mesure où elle est soutenue¹⁷ par autrui. C’est ainsi que le Pape soutient, pour le bien des âmes et pour la sauvegarde de l’ordre juridique dans l’Église, la juridiction de l’évêque hérétique encore non déposé¹⁸.

Si c’est le Souverain Pontife qui tombe en hérésie, qui pourra soutenir en lui la juridiction ? – L’Église ? Nous ne le croyons pas, car celle-ci, en tant que considérée par opposition au Pape, ne lui est pas supérieure, et donc ne peut lui soutenir la juridiction. Le Pape n’est pas soumis au droit ecclésiastique. – Jésus-Christ ? Oui, dans la mesure où il est licite de Lui attribuer l’intention de soutenir la juridiction dans la personne du Pontife hérétique.

II.4. La question centrale

Se pose ici, car la question centrale : y a-t-il des circonstances dans lesquelles on puisse et doive dire que Notre-Seigneur a établi qu’Il soutiendrait, au moins pour quelque temps, la juridiction d’un Pape éventuellement hérétique ?

Rien n’existe, dans la Sainte Écriture et la Tradition, qui constitue une réponse sûre et définitive à cette question. Comme nous ne cherchons pas, ici, seulement des arguments de probabilité, mais principalement des raisons qui justifient une certitude, nous devons investiguer si ailleurs nous trouvons des éléments sûrs pour répondre à la question proposée.

Comme il est évident, en matière théologique on ne peut concevoir une argumentation qui ne parte pas d’au moins une prémisse révélée. Ce que nous cherchons, donc, est une prémisse mineure, tirée non de la Révélation mais de la raison naturelle, et qui, unie à une prémisse majeure révélée, fournisse une solution sûre à la question ci-dessus présentée.

Nous jugeons que la prémisse majeure révélée adéquate dont nous devons partir est le dogme selon lequel l’Église est une société visible et parfaite¹⁹. Comme prémisse mineure, nous devons poser le principe, tiré de la nature même, selon lequel les faits de la vie publique et officielle d’une société visible et parfaite doivent être « notoires et divulgués publiquement ». De là se conclurait qu’une éventuelle destitution du chef de l’Église ne serait pas un fait juridiquement consommé tant qu’elle ne deviendrait pas « notoire et divulguée publiquement ».

– En forme scolastique, nous pourrions rédiger le sorite suivant :

L’Église est une société visible et parfaite.

Or, les faits de la vie officielle et publique d’une société visible et parfaite ne deviennent juridiquement consommés que lorsqu’ils sont notoires et divulgués publiquement.

Or, la perte du pontificat est un fait de la vie publique et officielle de l’Église.

Donc, la perte du pontificat ne devient juridiquement consommée que lorsqu’elle est notoire et divulguée publiquement.

– Une telle conclusion, découlant d’une vérité révélée et d’une prémisse évidente à la raison naturelle, exprime la volonté certaine de Notre-Seigneur. Ce ne serait pas une vérité formellement révélée, mais une vérité virtuellement révélée, une conclusion théologique.

Le propre Jésus-Christ, donc, soutiendrait la juridiction du Pape hérétique jusqu’au moment où sa défection dans la foi deviendrait « notoire et divulguée publiquement ».

– En conséquence, seraient valides tous les actes juridictionnels pratiqués par le Pape durant cette période. Imaginons même le cas où il proférerait une définition dogmatique, celle-ci serait infaillible. L’Esprit-Saint, en telle hypothèse, parlerait à travers lui comme Il parla par la mule de Balaam²⁰.

Notez que l’argumentation dont nous nous servons n’est pas la même que celle de saint Robert Bellarmin, reprise par Wernz-Vidal²¹. Eux partent du principe que qui n’est, en aucun sens, membre de l’Église, ne peut en être la tête. Un tel argument nous semble vrai, pourvu qu’on lui ajoute une clause selon laquelle Notre-Seigneur soutiendrait la juridiction du Pape hérétique tant que son hérésie ne deviendrait pas « notoire et divulguée publiquement ». Néanmoins, même ainsi formulé, cet argument soulève une autre question, extrêmement disputée : le moment exact où l’hérétique cesse d’être membre de l’Église²². Selon ce que nous pensons, quel que soit ce moment, le Pape éventuellement hérétique ne déchoirait effectivement du pontificat que lorsque sa défection dans la foi deviendrait « notoire et divulguée publiquement ».

II.5. S’exclut la nécessité d’une déclaration

À notre avis, les arguments ci-dessus présentés éliminent les opinions selon lesquelles le Pape perdrait le pontificat au moment où il tomberait en hérésie interne²³, en hérésie externe occulte²⁴, et en hérésie externe manifeste mais non « notoire et divulguée publiquement »²⁵.

Resteraient encore debout deux positions : la perte « ipso facto » par hérésie « notoire et divulguée publiquement »²⁶, et la perte par déclaration²⁷.

Or, cette dernière semble insoutenable, car, comme le démontra saint Robert Bellarmin dans son argumentation contre Cajetan²⁸, elle ne se coadune pas avec le principe selon lequel le Pape ne peut être jugé par aucun homme²⁹.

II.6. Degré de notoriété et de divulgation

 

Quel degré de notoriété et de divulgation est nécessaire pour que le Pape éventuellement hérétique soit considéré déposé ? – En réponse à cette question nous devons initialement observer qu’il y aurait un certain degré de notoriété et de divulgation dans lequel, sans doute aucun, se serait produite la perte du charge. Le problème se poserait – cela oui – par rapport au moment précis où se produirait la destitution. Quant à ce particulier, la question proposée ne pourrait être pleinement répondue qu’en fonction des circonstances concrètes. Les concepts de « notoire » et « divulgué publiquement »³⁰ nous semblent en théorie clairs ; leur application à l’ordre concret exigerait l’examen d’une casuistique vastissime, dont il ne nous appartient pas ici de traiter.

Il suffit, au moment, de rappeler une observation que nous avons faite ci-dessus³¹ : ce n’est pas parce que dans la pratique cette opinion pourrait apporter des dissensions de grande ampleur, qu’on doit la tenir pour fausse.

 

III. Conclusion  

 

Résumant : nous croyons qu’un examen soigneux de la question du Pape hérétique, avec les éléments théologiques dont nous disposons aujourd’hui, permet de conclure qu’un éventuel Pape hérétique perdrait le charge au moment où son hérésie deviendrait « notoire et divulguée publiquement ». Et nous pensons que cette opinion n’est pas seulement intrinsèquement probable, mais certaine, dès lors que les raisons qu’on peut faire valoir en sa faveur nous semblent absolument déterminantes.  De plus, dans les œuvres que nous avons consultées, nous n’avons trouvé aucun argument qui nous persuadât du contraire.

 

NB

Donc est erronée la pensée suivante : “Quoi qu’il en soit, d’autres opinions restent extrinsèquement probables, vu qu’elles ont en leur faveur des auteurs de poids. Donc, dans l’ordre de l’action concrète il ne serait pas licite de prendre une position déterminée, cherchant à l’imposer sans plus. C’est pour cette raison que, comme nous l’avons dit au début, nous invitons les spécialistes en la matière à réétudier la question. Seulement ainsi il sera possible d’arriver à un accord général parmi les théologiens, afin qu’une opinion déterminée puisse être classée comme théologiquement certaine.”

Pourquoi erroné : car on oppose une probabilité externe à une probabilité interne.

 

En effet le prof Da silveira pose cette note dans son introduction à la partie II de son (cet) ouvrage : « Une proposition ou opinion est appelée probable quand elle a en sa faveur des raisons ou motifs de tel poids, qu’une personne prudente peut y assentir, non de manière ferme (comme dans le cas de la certitude), mais avec crainte d’erreur » (Noldin-Schmitt-Heinzel, Summa Theol. Mor., vol. I, p. 215, n. 225).

La probabilité intrinsèque ou interne « est fondée sur des raisons tirées de la nature même de la chose » ; la probabilité extrinsèque ou externe est « basée directement sur l’autorité des savants » (idem, ibidem, p. 215, n. 226).

« La probabilité externe per se suppose l’interne, c’est-à-dire suppose que les savants ont été conduits par des raisons internes à embrasser la vérité » (idem, ibidem, p. 215, n. 226).

Admis que la probabilité externe est basée essentiellement sur l’interne, il n’est pas licite de faire appel à la probabilité externe quand on sait que l’opinion est fausse et n’a aucune probabilité interne d’être correcte, même si des auteurs de grand nom la défendent. La probabilité externe sans probabilité interne ne peut être invoquée que quand on traite d’une matière obscure, enveloppée de difficultés, et encore non suffisamment clarifiée par les auteurs » (idem, ibidem, p. 225, n. 238)³².

 

 

¹ Saint Robert Bellarmin : texte que nous citons ci-après ; Sylvius : ad II-II, q. 39, a. 1 ; Pietro Ballerini : texte que nous citons aux pp. 27-28 ; Wernz-Vidal : « Ius Can. », tom. II, pp. 517 ss. ; Billot : texte que nous citons à la p. 7.

² Saint Robert Bellarmin, « De Rom. Pont. », lib. II, cap. 30, p. 420.

³ Pietro Ballerini, « De Potestate Ecclesiastica… », pp. 104-105.

⁴ Nous indiquons cette subdivision dans les observations à la position B-II-2 du tableau synoptique de la p. 6. À cette division tripartite fait allusion, par exemple, Suarez en « De Leg. », lib. IV, cap. VII, n.° 6, p. 360.

⁵ « Notoria et palam divulgata » – L’expression est de Wernz-Vidal : « Ius Can. », vol. II, p. 517.

⁶ Comme nous l’avons déjà observé, il n’existe pas toutefois une correspondance absolue entre la position assumée par chaque auteur quant au moment où l’hérétique est exclu de l’Église, et sa opinion sur la question du Pape hérétique : voir pp. 16-17.

⁷ « De Rom. Pont. », lib. II, cap. 30. – Voir aussi « De Ecclesia Militante », lib. III, cap. 4-10.

⁸ Nous dépasserions les limites de cette exposition si nous cherchions à analyser combien sont fluctuants, même chez les meilleurs auteurs, les concepts de « occulte », « manifeste », « public », « notoire », etc. – Nous citons ici seulement quelque bibliographie à ce sujet : Cod. de Dir. Can., cân. 2197 ; cân. 2259, § 2 ; cân. 2275, 1 ; Billot, « Tract. de Eccl. Christi », tom. II, p. 617 ; Lercher, « Instit. Theol. Dogm. », vol. I, p. 233, n.° 407 ; Hervé, « manuale Theol. Dogm. », vol. I, p. 448 ; Sipos, « Ench. Iuris Can. », p. 774, item a ; p. 810 ; p. 833, item b ; Salaverri, « De Eccl. Christi », p. 879, n.° 1047 ; Miguélez-Alonso-Cabreros, « Cod. de Der. Can. », commentaire au cân. 2197.

⁹ Voir spécialement les citations que nous avons faites de Suarez (pp. 21 ss.) et Bouix (pp. 18 ss.).

¹⁰ Voir pp. 8 ss. – La Tradition en sens ample, à laquelle nous nous référons, inclut tant la Tradition divine que l’ecclésiastique. Nous la connaissons à travers les actes conciliaires, les documents pontificaux, les écrits patristiques, les œuvres de théologiens, etc. (voir Pesch, « Praelect. Dogm. », tomus I, nn. 564, 571).

¹¹ Voir les textes de saint Robert Bellarmin et Suarez que nous transcrivons, respectivement, aux pp. 24 ss. et 16-17.

¹² Sur le moment où l’hérétique cesse d’être membre de l’Église, voir p. 17, note 2.

¹³ Voir les raisons alléguées par Suarez, par nous reproduites aux pp. 16-17.

¹⁴ Canon 2264. – Ce canon, par lui seul, suffirait à démontrer que les textes des Pères de l’Église référents à l’incompatibilité entre l’hérésie et la juridiction ne peuvent être entendus au sens d’une incompatibilité absolue et omnimode.

¹⁵ Canon 882. – À défaut d’autre prêtre, peuvent aussi administrer les autres sacrements et sacramentaux à des personnes en danger de vie : cân. 2261, § 3.

¹⁶ Voir Hervé, « Man. Theol. Dogm. », vol. I, p. 449, n.° 453, note 1, et bibliographie indiquée là.

¹⁷ Comme dit Suarez en texte cité aux pp. 45 ss., dans ce cas « le Pape hérétique n’est pas membre de l’Église quant à la substance et à la forme qui constituent les membres de l’Église, mais est tête quant au charge et à l’action ».

¹⁸ Voir pp. 16-17, 20, 27 ss.

¹⁹ Normalement on dit que, en certains cas prévus par le Droit, la juridiction de qui n’en a pas est « suppléée » par le Pape ou par l’Église. En hypothèse d’erreur commune, par exemple, l’Église « supplée » la juridiction inexistante, conformément au canon 209. – Néanmoins, selon ce qu’enseignent les auteurs, la juridiction « suppléée » n’existe que comme acte, non comme habitus (Lehmkuhl, « Theologia Moralis », vol. II, p. 281, n.° 387 ; Wernz-Vidal, « Ius Can. », tom. II, p. 439 ; Vermeersch-Creusen, « Epit. Iuris Can. », tom. I, p. 278). Or, dans l’hypothèse que nous envisageons, la juridiction existerait comme habitus, et non seulement comme acte. Il ne nous consta pas qu’il y ait un terme technique qui indique une telle situation juridique. Étant donné cela, nous disons que la juridiction est alors « soutenue » dans la personne de l’hérétique.

²⁰ Certains auteurs, surtout anciens, n’ont pas considéré que la juridiction peut être « soutenue » dans l’hérétique, en vue d’un intérêt éminent des âmes ou de l’Église. C’est pourquoi, même saint Robert Bellarmin, comme nous l’avons signalé en note 1 de la p. 25, semble nier la possibilité de la permanence de la juridiction dans l’hérétique manifeste – permanence que la pratique de l’Église dans les derniers siècles, surtout en relation aux évêques hérétiques encore non déposés, oblige à admettre comme légitime.

²¹ Voir : Denz.-Umb, indice systématique, item Ia ; Denz.-Sch., indice systématique, item G4a.

²² Nous croyons que cette prémisse mineure dispense démonstration, mais exige quelques explications.

Dispense démonstration parce qu’on ne pourrait concevoir que la vie publique et officielle d’une société visible et parfaite se développe à travers des faits occultes. Suarez expose ce principe en texte que nous reproduisons aux pp. 16-17. Et Domingo Soto use d’une expression particulièrement heureuse en disant que, s’il y avait des dépositions de prélats en raison de causes non constatables extérieurement, « toutes les juridictions deviendraient ambiguës et confuses » (« omnes jurisdictiones versarentur in ambiguo et in confuso » – « Comment. in IV Sent. », dist. 22, q. 2, a. 2, p. 1022). Par raison analogue les auteurs disent que la renonciation papale ne se consomme qu’au moment où elle est communiquée à l’Église (voir Coronata, « Instit. Iuris Can. », vol. I, p. 366).

Quelques explications nécessaires :

1 – Nous avons déjà observé (note 2 de la p. 29) que le concept de « notoriété » n’a pas en Droit canonique un sens entièrement défini. Nous entendons ici par « notoire » ce qui, de droit et de fait, remplit toutes les conditions nécessaires pour que cela puisse être connu, par tous les sujets, avec certitude et sans grande difficulté.

2 – Nous entendons par « divulgué publiquement » ce qui de fait est déjà arrivé à la connaissance du grand public, ou au moins d’un nombre de personnes suffisant pour que le processus de sa divulgation au grand public soit déjà devenu irréversible.

3 – L’expression « notoire et divulgué publiquement » se trouve chez Wernz-Vidal, comme nous l’avons déjà indiqué en note 3 de la p. 28.

²³ Voir note 1 de la p. 7. – Dans le même sens se prononce Laymann, « Theol. Mor. », lib. II, tract. I, cap. VII, n.° 1, p. 146.

²⁴ Voir pp. 24 ss. et 29.

²⁵ Voir pp. 16-17.

²⁶ Seconde opinion référée par saint Robert Bellarmin. – Voir pp. 16 ss.

²⁷ Première subdivision par nous proposée à la cinquième opinion référée par saint Robert Bellarmin – Voir p. 28.

²⁸ Seconde subdivision par nous proposée à la cinquième opinion. – Voir p. 28.

²⁹ Troisième subdivision par nous proposée à la cinquième opinion. – Voir p. 28.

³⁰ Quatrième opinion référée par saint Robert Bellarmin. – Voir pp. 21 ss.

³¹ Nous transcrivons cette longue argumentation aux pp. 24 ss. – Voir aussi note 2 de la p. 23.

³² On ne doit voir là aucun soupçon de conciliarisme, cela oui, dans le principe selon lequel des organismes ecclésiastiques, comme le Concile, peuvent émettre un prononcé déclaratoire d’une éventuelle cessation de fonctions d’un Pape hérétique, pourvu que ces organismes ne prétendent pas avoir d’autre droit que celui dont jouit tout fidèle. Par motifs de pure convenance et courtoisie, à ces organismes pourrait compétir, en premier lieu, de faire une telle déclaration ; mais cette priorité ne constituerait pas pour eux un droit propre, et moins encore exclusif.

Notez que les concepts de « notoire » et « divulgué publiquement » ne nous semblent pas en théorie clairs ; leur application à l’ordre concret exigerait l’examen d’une casuistique vastissime, dont il ne nous appartient pas ici de traiter.

³³ Voir p. 29, note 2.

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