JURIDICTION

En général et dans l’Eglise

 

  1. Nature de la juridiction :

 

  1. La société ecclésiastique ressemble en partie à la société civile mais en partie aussi elle en diffère. Comme la société civile, la société ecclésiastique se propose une fin que ses membres doivent atteindre par des moyens communs ; mais, tandis que pour la première la fin est purement naturelle, dans la seconde la fin appartient à un ordre supérieur que les forces de la nature sont impuissantes à atteindre et où il faut l’influence directe d’un agent surnaturel qui n’est autre que Dieu.

 

Le pouvoir de commander, essentiel à toute société, se rencontre obligatoirement dans la société ecclésiastique qu’est l’Église

 

Nous le savons, l’élément principal dans une société, celui qui en détermine la nature ou l’essence, est la fin qu’elle se propose d’atteindre, mais la fin complète et non partielle.

D’autre part, une société ne peut exister ni même se concevoir s’il ne s’y rencontre un modérateur pour tenir la balance entre les volontés individuelles, ramener leurs tendances diverses et les faire concourir par leur harmonie à l’unité commune.

D’où la nécessité de trouver dans la société un pouvoir qui commande à la multitude, la dirige et au besoin la contraigne, de manière que le groupement social puisse atteindre la fin qui lui est propre. Ce pouvoir de commander, essentiel à toute société, se rencontre dans l’Église au même titre que dans toute société parfaite, puisqu’elle est elle-même une société parfaite, comme on le démontre péremptoirement ailleurs.

 

  1. Toutefois, cette autorité est d’une nature bien différente, et cela tient à la condition spéciale de cette société. L’Église, en effet, a une fin surnaturelle et, pour l’atteindre, elle n’a pas seulement à diriger et à régler les forces sociales de ses membres, mais encore à appliquer des principes qui permettent à leur activité de s’exercer d’une manière conforme et proportionnée à la grandeur du but qu’ils poursuivent.

 

Ces principes se ramènent à deux, qui sont la vérité et la grâce :

– la vérité surnaturelle donnée par la révélation et qu’il faut tenir par la foi,

– la grâce qui, nous élevant à la participation de la nature divine, nous rend aptes à agir dans l’ordre de notre fin surnaturelle qui est la vie éternelle.

 

Nous devons l’une et l’autre au Verbe incarné de qui il est écrit :

« Et Verbum caro factum est et habitavit in nobis… plenum gratiae et veritatis et de plenitudine ejus nos omnes accepimus » (‘Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous… plein de grâce et de vérité, et de sa plénitude nous avons tous reçu’) ;

 

et encore : « Lex per Moysen data est, gratia et veritas per Jesum Christum facta est » (La Loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ). Joann., i, 14, 16, 17.

 

C’est pour assurer la dispensation de la vérité et de la grâce que le Christ lui-même a établi la hiérarchie apostolique : « Que les hommes, dit saint Paul, nous regardent comme les ministres du Christ et les dispensateurs des mystères de Dieu. » I Cor., IV, 1, les mystères de Dieu, à savoir : les sacrements ou signes sensibles institués pour notre sanctification, et les dogmes révélés que la foi nous oblige à croire.

 

Voilà pourquoi, dans le royaume du Christ, outre le pouvoir de régir impérativement les actes des sujets, il doit y avoir un pouvoir particulier pour dispenser les moyens surnaturels mis par Dieu à la disposition de l’Église.

 

 

  1. Triple pouvoir.

 

Ce pouvoir de dispensation lui-même se dédouble suivant que l’on considère, d’une part l’administration des choses saintes ordonnées à produire la grâce, de l’autre, la proposition authentique, avec définitions à l’appui, des vérités révélées.

 

– Dans le premier cas, nous avons le pouvoir d’ordre qui est rappelé par ces paroles du Christ au collège apostolique : « Baptizantes eos in nomine Patris et Filii, et Spiritus Sancti » (Les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit), Matth., xxviii, 19, « Hoc facite in meam commemorationem » (Faites ceci en mémoire de Moi), I Cor., xi, 25.

 

– Le second cas nous donne le pouvoir de magistère que Notre-Seigneur confère à ses apôtres peu de temps avant de remonter au ciel : Praedicate evangelium omni creaturae, (Prêchez l’Évangile à toute créature) Marc. xvi, 15 ; Euntes docete omnes gentes… docentes eos servare omnia quaecumque mandavi vobis. ( 15. Et il leur dit : Allez dans le monde entier, proclamez l’Evangile à tous les hommes. 16. Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé, mais celui qui ne croira pas sera condamné.”), ainsi également chez Matth., xxviii, 19, 20.

 

Il y a donc dans l’Église un triple pouvoir : le pouvoir d’ordre, le pouvoir de magistère et le pouvoir de juridiction, ce dernier n’étant que le pouvoir de régir impérativement les actes des sujets.

 

  1. L’ étymologie:

 

« Si l’on s’en tient, dit Sanguinetti, à l’étymologie du mot, juridiction, de ‘jus dicere’, ‘dire le droit’, signifie le pouvoir de porter une loi, et par loi on entend tout ce qui a trait au gouvernement ou à la direction d’un autre. Mais comme une loi ne peut être portée que par celui qui jouit d’une autorité légitime, il s’ensuit que le pouvoir de juridiction doit être un pouvoir public ou social.

 

D’où cette définition du pouvoir de juridiction donnée par un grand nombre d’auteurs :

 

« Potestas publica circa aliorum regimen seu gubernationem. »

 

(Le pouvoir public concerne la direction ou le gouvernement des autres)

Juris ecclesiastici institutiones, Rome, 1890, p. 214.

 

Nous avons parlé un peu plus haut du pouvoir de magistère.

Ce pouvoir, considéré d’une façon concrète, en tant qu’inséparablement uni au pouvoir de commander l’obéissance de la foi, ne se distingue pas adéquatement du pouvoir de juridiction, et c’est pourquoi l’usage commun ne reconnaît que ces deux grandes divisions du pouvoir ecclésiastique, à savoir, le pouvoir d’ordre et le pouvoir de juridiction.

« Potestas magisterii, si spectetur in concreto prout inseparabiliter annexum habet jus imperandi subditis obedientiam fidei, ab ipsa potestate jurisdictionis adaequate non distinguitur et hac de causa usu satis communi recepta est bimembris divisio potestatis ecclesiasticae in potestatem ordinis et potestatem jurisdictionis… » (Le pouvoir d’enseignement, si on le considère concrètement en tant qu’il inclut inséparablement le droit de commander aux sujets l’obéissance de la foi, ne se distingue pas adéquatement du pouvoir de juridiction lui-même, et pour cette raison, il est assez communément admis d’adopter une division bipartite du pouvoir ecclésiastique en pouvoir d’ordre et pouvoir de juridiction…)  Billot, De Ecclesia Christi, Rome, 1903, p. 343.

 

  1. Dans son traité des “Principes du Droit canonique”, Bouix montre la différence qui existe entre la conception du pouvoir de juridiction dans le droit civil romain et dans le droit ecclésiastique. Ici un des objets est sensiblement plus étendu : il inclut le magistère et comprend tout ce qui n’est pas du pouvoir d’ordre. Bouix détaille cet objet avec autant de justesse que de soin.

 

« Le mot juridiction vient donc de «’jus dicere’.

Dans le droit romain ce mot était pris dans un sens tout à fait strict. Les anciens jurisconsultes en effet, distinguaient dans l’État un quadruple pouvoir : la puissance suprême (majestas), le pouvoir de gouvernement (imperium), la juridiction et la compétence (notio). Ils appelaient majestas le droit suprême, source de tous les autres.

– Cette majestas se manifestait principalement dans le fait de porter des lois pour le bien commun ; aux temps de la République ce droit suprême résidait dans le peuple romain ; il passa ensuite aux empereurs.

– L’imperium désignait le pouvoir de réprimer les coupables ; c’est ce qu’on appelle aussi le droit de glaive, jus gladii.

– Sous le nom de Juridiction, on désignait le pouvoir de connaître des procès, de les juger, de faire exécuter les sentences et de désigner le juge. Ce pouvoir est toujours demeuré chez les magistrats. Mais comme les magistrats n’auraient pu faire exécuter leurs arrêts s’ils n’eussent disposé également de quelque pouvoir coercitif, un certain droit de coercition leur était accordé, mais peu important.

Aussi disait-on que leur juridiction était mélangée d’imperium, qu’elle était un imperium mixtum.

– Enfin sous le nom de compétence (notio) on entendait le pouvoir de connaître des causes et de les juger, mais non de faire exécuter les arrêts et de désigner le juge. Les juges investis de ce pouvoir correspondaient donc, à peu près, chez les Romains, à ce que sont chez nous les arbitres. »

 

« En droit ecclésiastique le mot de juridiction a un sens différent et s’étend à un plus grand nombre d’objets. On rapporte en effet à la juridiction :

– le pouvoir de définir le dogme et d’obliger les fidèles à donner aux définitions un ferme assentiment ;

– le pouvoir de faire des lois relatives à la discipline et aux mœurs ;

– le pouvoir de connaître des causes ecclésiastiques et de les juger ; celui de contraindre les coupables par des peines telles que la déposition, la suspense, l’anathème ;le droit de réunir les conciles et de les présider ; le droit de reprendre les inférieurs, de les contraindre à observer les commandements et à remplir convenablement leurs fonctions : le droit d’ériger des bénéfices et d’en désigner les titulaires, de disposer des biens ecclésiastiques, de les aliéner, de faire à leurs égards toute espèce de contrat.

Bien plus quelques auteurs comprennent d’une manière tout à fait générale sous le nom de juridiction, tout pouvoir ecclésiastique qui n’est pas le pouvoir d’ordre, c’est-à-dire le pouvoir attaché, d’institution divine, au caractère reçu par l’ordination. En ce sens la juridiction impliquerait le magistère, ou pouvoir d’enseigner. » D. Bouix, Tractatus de principiis juris canonici, Paris, 1862, p. 544 et 545.

 

À raison de la manière dont elle s’exerce, la juridiction se divise en juridiction volontaire et en juridiction contentieuse, ou plutôt, selon Bouix, en juridiction judiciaire et en juridiction extra-judiciaire. Tout ce que l’évêque est tenu de régler avec l’appareil du jugement ou sous la forme contentieuse, se rapporte à la juridiction judiciaire ou contentieuse… Tout ce qu’il a le droit de statuer en dehors de l’appareil judiciaire appartient à la juridiction extra-judiciaire désignée par les canonistes sous le nom de juridiction volontaire correspondant à peu près à ce que l’on appelle, au civil, la juridiction administrative. Bouix, op. cit., p. 565.

 

  1. Existence de ce pouvoir dans l’Église

 

Jésus-Christ a donné à son Église une juridiction libre et indépendante de toute autorité humaine, tant au for externe qu’au for interne. Cette juridiction comprend, mais pour une fin plus élevée, le triple pouvoir qui appartient à toute société parfaite : le pouvoir législatif, le pouvoir judiciaire et le pouvoir coercitif.

 

  1. Dans l’Écriture Sainte

 

« Je te donnerai les clefs du royaume des cieux, déclare solennellement Jésus à l’apôtre saint Pierre en une circonstance célèbre ; tout ce que tu lieras sur la terre sera lié aux cieux, et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié aux cieux. » Matth., xvi, 19.

Peu de temps après il s’adressait dans le même sens aux autres apôtres :

« En vérité je vous le dis, tout ce que vous lierez sur la terre sera lié aux cieux, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié aux cieux. » Matth., xviii, 18.

 

Que peuvent signifier ces clefs du royaume des cieux ? Elles signifient simplement le pouvoir de juridiction ou l’autorité de commandement, ainsi qu’il ressort de l’enseignement de la sainte Écriture où cette métaphore est d’un usage constant, et aussi de la coutume immémoriale qui consiste à donner les clefs en signe de soumission ou comme marque d’investiture d’un emploi. Voir pour l’emploi du mot clef en ce sens, Isaïe, xxii, 20-23 et le commentaire du P. Knabenbauer ad hunc locum. In Isaiam, t. I, p. 133.

 

C’est donc un vrai pouvoir de juridiction que Notre-Seigneur donne à son Église.

Ce pouvoir est universel, ne souffre ni restriction ni limite. « Tout ce que vous lierez, tout ce que vous délierez… »

 

Ce pouvoir est, de plus, indépendant de toute juridiction humaine : ce qui aura été lié sur la terre sera immédiatement et restera lié aux cieux ; ce qui aura été délié sur la terre sera également délié aux cieux. Entre le pouvoir conféré aux apôtres et le pouvoir céleste, il n’y a aucun intermédiaire. Le second ratifie les décisions ou les mesures prises par le premier, et il le fait précisément à cause de leur caractère libre et pleinement indépendant.

Pierre, le prince des apôtres, a été constitué le possesseur attitré et le maître des clefs du ciel. Or il cesserait de l’être du jour où, dans l’exercice de son autorité, il serait soumis à un autre qui pourrait ouvrir ce qu’il a fermé et fermer ce qu’il a ouvert, lier ce qu’il a délié et délier ce qu’il a lié. Il faut donc que ce pouvoir soit pleinement indépendant.

 

  1. Dans la Tradition

 

Cette doctrine a pour elle l‘unanimité des Pères.

Dans deux très belles pages, Tarquini expose, de façon magistrale, cet argument de la tradition. Le docte cardinal rappelle d’abord les témoignages rendus à cette doctrine par les auteurs ecclésiastiques, saint Athanase par exemple, dans son Epistola ad monachos, où l’évêque d’Alexandrie accumule les citations tirées d’Hosius, des souverains pontifes Libère et Jules et de bien d’autres encore. De ces témoignages ecclésiastiques Roskovány a fait un dépouillement assez complet dans ses Monumenta catholica pro independentia potestatis ecclesiasticae. Mais le cardinal Tarquini se plaît surtout à aligner un certain nombre de textes empruntés aux souverains laïques, à ceux-là mêmes qui, peu conséquents, ont abusé parfois de la force à l’endroit de l’Église, tel le jugement porté par le roi de France Louis VII le Jeune sur le cas de son collègue Frédéric Barberousse (Voir Baronius, Annales, an. 1162, n. 10), telles les déclarations de Constantin le Grand, de Valentinien Ier, d’Honorius Ier, de Valentinien III, de Théodose II, du roi arien Théodoric, de Justinien, et de Charlemagne. Voir Tarquini, Juris ecclesiastici publici institutiones, Rome, 1890, p. 34-35.

 

III. Les divisions de la juridiction ecclésiastique

 

La juridiction ecclésiastique compte de nombreuses divisions, suivant les différents points de vue auxquels on se place pour l’étudier.

 

1° À raison du for. — On distingue la juridiction au for interne et la juridiction au for externe.

 

Le mot for désigne étymologiquement la place publique, le forum où était rendue la justice et prononcés les jugements ; de là, par métaphore, la justice elle-même ou le tribunal, même immatériel, qui rend les jugements (on parle du for intime), le lieu où s’exerce la juridiction et la juridiction elle-même.

 

a– La juridiction au for interne est celle qui se réfère tout d’abord et directement à l’utilité privée de chaque fidèle. Elle s’exerce à peu près exclusivement au tribunal de la pénitence ; dans quelques cas cependant, elle peut s’exercer en dehors de ce tribunal. D’où la subdivision de la juridiction au for interne en for interne sacramentel et en for interne extra-sacramentel.

 

b– La juridiction au for externe regarde immédiatement l’utilité publique du corps des fidèles. « Potestas jurisdictionis seu regiminis quae ex divina institutione est in Ecclesia, alia est fori externi, alia fori interni, seu conscientiae, sive sacramentalis sive extra-sacramentalis. » (Le pouvoir de juridiction ou de direction, qui existe dans l’Église de par l’institution divine, se divise en pouvoir de for externe et pouvoir de for interne ou sur la conscience. Ce dernier pouvoir est sacramentel ou extra- sacramentel.) Codex Juris Canonici, can. 196.

 

Il faut user d’une grande circonspection, dit Berardi, Commentaria in jus can., édit. de Turin, 1710, t. I, p. 12, pour définir ce qui appartient au for interne et ce qui relève du for externe. Ainsi, par exemple, la faculté de prêcher l’Évangile, d’absoudre des péchés ou des censures, ce qui appartient au lien unissant les fidèles au Christ, est du for interne. Mais la faculté d’accorder le pouvoir de prêcher, d’absoudre soit des péchés, soit des censures, dépend du for externe, parce que cette faculté a un rapport direct avec le bien de la communauté.

 

Il suit de là qu’on peut avoir la juridiction au for interne sans la posséder au for externe, et les curés sont dans ce cas. Inversement il en est qui jouissent de la juridiction au for externe sans bénéficier de l’autre. Tels seraient les vicaires généraux dépourvus du caractère sacerdotal.

 

On comprend maintenant le sens précis dans lequel il faut entendre l’adage :

 

« Ecclesia non judicat de internis »

 

À son for externe l’Église ne juge pas des choses internes, mais elle le fait à son for interne. Celui qui, le sachant, remplit le devoir pascal avec un péché mortel sur la conscience, ne viole pas la juridiction externe de l’Église prescrivant la communion pascale, mais il se soustrait indûment à sa juridiction interne exigeant que cette communion soit faite en état de grâce. Pour réparer sa faute, le coupable aura à se présenter non pas devant un tribunal extérieur quelconque, mais uniquement devant le tribunal de la pénitence qui est éminemment du for interne.

 

2° À raison de son étendue, la juridiction est universelle et particulière.

 

a– La juridiction universelle

 

Elle est celle qui ne souffre aucune limite, ni quant aux personnes, ni quant aux lieux, ni quant aux matières sujettes au pouvoir de l’Église. Telle est la juridiction du pontife romain sur toute l’Église.

 

Cette juridiction universelle quant aux personnes et aux lieux, mais non quant aux matières, appartient aux Congrégations romaines, qui ne sont en réalité que des émanations de la juridiction universelle du souverain pontife.

 

b-La juridiction particulière

 

Elle est celle qui est restreinte à certains lieux déterminés comme la juridiction de l’évêque sur son diocèse, ou à certaines personnes, comme la juridiction des prélats réguliers sur leurs moines, ou enfin à certaines matières, telle est la juridiction accordée sous la réserve de certains cas.

 

Quand la juridiction particulière est limitée à certaines personnes, et non à certains lieux, elle peut s’exercer partout. C’est ainsi qu’un prélat régulier peut exercer partout sa juridiction sur les moines qui lui sont soumis, pourvu qu’il ne trouble pas la juridiction de l’ordinaire du diocèse dans lequel il se trouve.

 

Quand la juridiction est restreinte à un lieu déterminé, l’ordinaire peut, en dehors de son diocèse, exercer sur ses propres sujets sa juridiction extra-judiciaire ou volontaire. Codex, can. 201, § 3. Mais il n’en est pas de même de sa juridiction judiciaire ou contentieuse. Sauf certains cas particuliers, can. 201, § 2, 401, § 1, 881, § 2, et 1637, celle-ci ne peut pas être exercée en dehors du territoire qui circonscrit son action, can. 201, § 2.

 

3° À raison du titre auquel elle est conférée, la juridiction est dite ordinaire ou déléguée.

 

– La juridiction ordinaire est celle qui, antérieurement à une loi ou à une coutume, est attachée à un office, de telle sorte que celui qui en jouit de droit propre, l’obtient à raison même de son office.

 

Telle est la juridiction que le droit commun accorde pour le for interne aux curés, pour le for à la fois interne et externe aux évêques, etc. Telle est encore la juridiction que le même droit reconnaît, mais par mode de privilège, aux abbés et aux autres prélats inférieurs.

 

– La juridiction déléguée, au contraire, est celle qu’on n’a pas en droit propre, c’est-à-dire à raison de l’office ou de la dignité, mais en vertu d’une commission reçue d’un autre au nom duquel elle est exercée.

 

Cette dernière division, à cause de son importance, demande quelques explications.

 

  1. A. La juridiction ordina

 

Le Code de Droit Canonique en donne cette définition : « Potestas jurisdictionis ordinaria ea est quae ipso jure adnexa est officio… », (§1. Le pouvoir ordinaire de juridiction est attaché par le droit lui-même à l’office: le pouvoir délégué est communiqué à la personne.) can. 197, § 1.

 

Celui qui possède cette juridiction dans sa plénitude est appelé pour cette raison Ordinaire.

En droit, à moins d’exception expresse, on entend, sous le nom d’Ordinaire, outre le pontife romain, l’évêque résidentiel, l’abbé ou le prélat nullius pour leurs territoires respectifs, leurs vicaires généraux, l’administrateur de ces mêmes territoires, le vicaire et le préfet apostolique, et de même ceux qui, à leur défaut, les remplacent dans le gouvernement en vertu d’une disposition du droit ou de constitutions approuvées, les supérieurs majeurs vis-à-vis de leurs sujets dans les religions cléricales exemptées.

« In jure nomine Ordinarii intelliguntur, nisi quis expresse excipiatur, praeter romanum pontificem, pro sui quisque territorio episcopus residentialis, abbas vel praelatus nullius eorumque vicarius generalis, administrator, vicarius et praefectus apostolicus, itemque ei qui praedictis deficientibus interim ex juris praescripto aut ex probatis constitutionibus succedunt in regimine, pro suis vero subditis superiores majores in religionibus clericalibus exemptis. » (« §1. Dans le droit sont reconnus comme ‘Ordinaire’ (sauf exception expresse ), outre le Souverain Pontife, les évêques résidentiels avec leurs vicaires généraux, les abbés et prélats nullius avec leurs vicaires généraux, les administrateurs apostoliques, les vicaires et préfets apostoliques, chacun pour son territoire, ainsi que ceux qui, à défaut des dignitaires susindiqués, sont désignés par les prescriptions du droit, ou des constitutions approuvées, ou par la coutume légitime pour les remplacer; et sont aussi ‘Ordinaire’ pour les ordres de prêtres religieux exempts les supérieurs majeurs à l’égard de leurs sujets. ») Can. 198, § 1.

Il faut remarquer, toutefois, que ces derniers n’ont pas droit au titre d’Ordinaires du lieu ou des lieux. Ibid. § 2.

 

1.- Comment s’acquiert la juridiction ordinaire ?

 

Les moyens ordinaires d’acquérir la juridiction sont au nombre de quatre, à savoir : l’élection, la postulation, la collation, l’institution à laquelle se rattache le droit de patronage.

 

En effet, un office ecclésiastique peut s’obtenir soit de la libre volonté de celui qui l’accorde et peut en disposer, soit conformément à une loi qui en détermine la collation.

Dans le premier cas, nous avons la libre collation du bénéfice.

Dans le second cas, la loi en question peut prescrire que l’office sera concédé à celui qui aura réuni la majorité des suffrages dans les circonstances prescrites, et c’est l’élection.

Si l’on arrive à cet office par un mode subsidiaire, on a la postulation.

Enfin s’il est question d’un droit déjà existant, c’est l’institution ou le droit de patronage. Sanguinetti, op. cit., p. 223.

 

L’élection se définit :

 

« L’appel canonique d’une personne idoine à une prélature vacante dans une Église, ou à quelque office ecclésiastique, élection faite par les suffrages des électeurs légitimes et à confirmer ultérieurement par le supérieur compétent. »

 

Les canonistes s’étendent longuement sur les règles à observer pour la validité et la licéité de l’élection ; le Code de Droit Canonique y consacre une vingtaine de canons. Can. 160-178, 2390-2393. Nous n’avons pas à entrer ici dans ces détails. Rappelons simplement que l’élection se présente sous une triple forme.

– Ou bien les électeurs à peine rassemblés, et sans qu’il y ait eu de tractation préalable, s’accordent d’emblée et à l’unanimité sur un nom. C’est la quasi-inspiration, tout à fait extraordinaire.

– En d’autres cas les électeurs, d’un commun accord, remettent à quelques personnes choisies soit dans leur assemblée, soit même en dehors d’elle, le soin de désigner l’élu. C’est le procédé par compromis, moyen qu’on peut appeler subsidiaire, en ce sens qu’il n’est employé que si le moyen régulier du scrutin fait défaut.

– Dans le scrutin on réunit, suivant le mode prévu pour chaque cas particulier, les suffrages de tous ceux qui étant électeurs de droit ont voulu ou pu se réunir. Sanguinetti, op. cit., p. 226-227.

 

La postulation :

 

au sens strict du mot, c’est une pétition faite pour une juste cause par tous les électeurs, ou du moins par la majorité d’entre eux, pétition adressée au supérieur légitime à l’effet de lui demander, par la fulmination d’une dispense d’ordinaire accordée, la levée d’un empêchement canonique s’opposant à l’élection de leur candidat. Cf. Codex, can. 179, § 1 et 2.

 

La postulation, pour avoir toute sa force, doit réunir la majorité des suffrages et, au moins les deux tiers, lorsqu’elle est en concurrence avec l’élection. Can. 180, § 1.

 

La postulation doit être envoyée dans les huit jours au supérieur à qui il appartient de confirmer l’élection, si toutefois il a le pouvoir de dispenser de l’empêchement en question ; autrement c’est au souverain pontife ou à quelque autre jouissant de ce pouvoir. Si la postulation n’a pas été envoyée dans le délai prescrit, elle devient nulle par le fait même, et les électeurs sont privés pour cette fois du droit d’élire ou de postuler, à moins qu’ils n’établissent qu’un obstacle sérieux les a empêchés de faire cet envoi. La postulation ne confère aucun droit à celui qui en est l’objet, et il est loisible au supérieur de la rejeter. Mais les électeurs ne peuvent pas révoquer une postulation présentée au supérieur, à moins que celui-ci n’y consente. Can. 181, § 1, 2, 3, 4.

 

Si la postulation est admise, avis en est donné à celui dont on demande la nomination ; celui-ci dans les huit jours, doit faire connaître s’il accepte ou non l’appel dont il est l’objet. En cas d’acceptation, il entre de plein droit dans la possession de son office. Can. 175, 182, § 2 et 3.

 

La collation :

 

C’est le troisième des modes usités pour acquérir la juridiction ecclésiastique.

Pris dans un sens large, ce mot désigne toute concession de bénéfice ecclésiastique, que celle-ci dépende entièrement de la libre volonté de celui qui donne le bénéfice, ou soit soumise à des lois ; mais, dans son sens strict, il se limite à la première de ces deux acceptions. C’est uniquement celle que nous devons envisager ici.

Ainsi entendue, la collation se définit : « Vacantis beneficii ecclesiastici, ab eo cui tale jus competit, libere facta idoneae personae concessio »

(« La concession libre d’un bénéfice ecclésiastique vacant, faite par celui à qui ce droit appartient, à une personne idoine. ») Sanguinetti, op. cit., p. 231.

 

Comme on le voit, la collation comprend quatre éléments :

– La vacance du bénéfice qui est concédé ;

– un pouvoir légitime dans le collateur ;

– le fait pour celui qui reçoit le bénéfice, d’être personne idoine ;

– enfin, à moins qu’il ne s’agisse du souverain pontife, l’observation de toutes les lois établies par le droit ecclésiastique en la matière.

 

– l’institution (et le droit de patronage)

 

Les bénéfices ecclésiastiques et la juridiction ecclésiastique qui leur est annexée peuvent être obtenus de telle manière que le collateur doit conférer le bénéfice à celui qu’une personne déterminée lui aura présenté en vertu d’un droit. C’est un nouveau mode de collation. Celui qui a le droit de faire cette présentation s’appelle patron, et le droit dont il jouit droit de patronage.

D’où cette définition du droit de patronage :

« Jus seu potestas nominandi, sive praesentandi clericum idoneum, ei ad quem institutio pertinet, ut beneficium vacans, quod ejusmodi juri subjectum est, eidem concedat ».

(« Le droit ou le pouvoir de nommer ou de présenter un clerc idoine à celui à qui appartient l’institution, afin qu’il concède à ce dernier un bénéfice vacant soumis à ce droit. ») Sanguinetti, op. cit., p. 235.

 

Il résulte de cette définition que si le sujet présenté par le patron a les qualités requises par le droit commun aussi bien que par la loi de la fondation, il a le droit d’être pourvu de l’office demandé. Dans le cas contraire, il peut être refusé par l’autorité supérieure. Tous les fidèles, et même des personnes morales comme les monastères et les chapitres, peuvent acquérir le droit de patronage.

 

Au droit de patronage se rattache le droit concédé à certains souverains, en vertu de concordats passés avec le Saint-Siège, de nommer ou désigner les sujets aux sièges épiscopaux. Mais l’office lui-même, avec la juridiction ecclésiastique, ou le droit sur la chose, jus in re, n’est point conféré par l’élection ou la présentation.

C’est, en effet, la première règle du droit, qu’  « un bénéfice ecclésiastique ne peut être licitement obtenu sans institution canonique » : « Beneficium ecclesiasticum non potest licite sine institutione canonica obtineri ». Sext. Décret., l. V, tit. xii, De regulis juris, 1. —

 

Pie IX, dans le Syllabus, a condamné la proposition suivante :

« Laica potestas habet per se jus praesentandi episcopos, et potest ab illis exigere, ut ineant dioecesium procurationem, antequam ipsi canonicam a Sancta Sede institutionem et apostolicas litteras accipiunt. »

(« Le pouvoir laïc a, de par lui-même, le droit de présenter des évêques et peut exiger d’eux qu’ils entreprennent la gestion des diocèses avant qu’ils ne reçoivent l’institution canonique et les lettres apostoliques de la part du Saint-Siège. »)

Prop. 50, Denzinger-Bannwart, n. 1750.

 

Dans la seconde moitié du xiiiᵉ siècle, Grégoire X, par une constitution générale, décréta au second concile de Lyon, que nul, à l’avenir, n’eût la présomption de s’immiscer, d’une manière ou à un titre quelconques, dans l’administration de la dignité à laquelle il a été élu, avant que cette élection n’ait été confirmée.

 

« Nos latius providere volentes, hac generali constitutione sancimus : ut nullus de coetero, administrationem dignitatis ad quam electus est, priusquam celebrata de ipso electio confirmaretur, sub oeconomatus vel procurationis nomine, vel alio de novo quaesito colore, in spiritualibus vel temporalibus, per se vel per alium, pro parte vel in totum, gerere vel recipere, aut illis se immiscere praesumat. Omnes illos, qui secus fecerint, jure (si quod eis per electionem quaesitum fuerit) decernentes eo ipso privatos. »

 

(« Voulant pourvoir plus largement, nous établissons par cette constitution générale : que désormais nul ne pourra, avant que l’élection à une dignité ne soit confirmée, sous le nom d’économat, de procuration ou sous toute autre apparence nouvellement invoquée, gérer ou recevoir, en tout ou en partie, directement ou par l’intermédiaire d’un autre, les affaires spirituelles ou temporelles, ni s’immiscer dans celles-ci. Nous décrétons que tous ceux qui agiraient autrement seront, de ce fait, privés du droit (si un droit leur avait été acquis par l’élection). »

Sext. Décret., l. I, tit. vi, c. 5.

 

Le 28 août 1873, Pie IX, dans sa Constitution Romanus Pontifex déclara étendre, à ceux qui étaient nommés et présentés par les souverains, quel que fût leur nom, ce qui avait été prescrit pour les élus des chapitres :

 

« Declaramus et decernimus ea quae a Gregorio X decessore nostro in concilio Lugdunensi II° de electis a capitulis, constituta sunt comprehendere etiam nominatos, et praesentatos a supremis publicarum rerum moderatoribus, sive imperatores sint, sive reges, sive duces, vel praesides et quomodocumque nuncupentur, qui ex S. Sedis concessione, seu privilegio jure gaudent nominandi et praesentandi ad sedes episcopales in suis respectivis ditionibus vacantes. »

(« Nous déclarons et décrétons que les dispositions établies par notre prédécesseur Grégoire X au IIe Concile de Lyon concernant les élus par les chapitres comprennent également les personnes nommées et présentées par les chefs suprêmes des affaires publiques, qu’ils soient empereurs, rois, ducs, présidents ou quel que soit leur titre, qui jouissent, par concession ou privilège du Saint-Siège, du droit de nommer et de présenter des candidats aux sièges épiscopaux vacants dans leurs territoires respectifs. »)

Acta Sanctae Sedis, t. vii, p. 403.

 

Cette institution canonique se fait par le supérieur ou en vertu d’une disposition du droit :

  1. a. par le supérieur, lorsque celui-ci, par un acte spécial et accompli sur l’heure, confère à un clerc un bénéfice ecclésiastique ;
  2. b. en vertu d’une disposition du droit, quand par une loi écrite ou une coutume il a été réglé que l’élu peut, sans recours ultérieur au supérieur, exercer immédiatement l’office auquel il a été appelé.

 

Lorsque l’institution est donnée par le pape, il faut produire les lettres apostoliques et cette présentation faite suivant des règles fixées par le droit, est rigoureusement nécessaire pour l’entrée en fonction.

 

La chose est ainsi réglée par Boniface VIII :

 

« Praesenti itaque perpetuo valitura constitutione sancimus ut episcopi et alii praelati superiores, necnon abbates, priores et, qui apud Sedem Apostolicam promoventur, aut confirmationis, consecrationis, vel benedictionis munus recipiunt, ad commissas eis Ecclesias, et monasteria absque dicta Sedis litteris hujusmodi, eorum promotionem, confirmationem, consecrationem seu benedictionem continentibus accedere, vel bonorum ecclesiasticarum administrationem accipere non praesumant, nullique eos absque dictarum litterarum ostensione recipiant, aut eis pareant et intendant. Quod si forsan contra praesumptum fuerit : quod inter episcopos, praelatos, abbates, priores medio tempore actum fuerit, irritum habeatur. »

 

« Par la présente constitution, qui restera en vigueur à perpétuité, nous décrétons que les évêques et autres prélats supérieurs, ainsi que les abbés, prieurs et ceux qui sont promus auprès du Siège Apostolique, ou qui reçoivent de celui-ci la confirmation, la consécration ou la bénédiction, ne doivent pas se rendre dans les églises ou monastères qui leur sont confiés, ni en assumer l’administration des biens ecclésiastiques, sans les lettres de ce Siège mentionnant leur promotion, confirmation, consécration ou bénédiction. Nul ne doit les accueillir, leur obéir ou leur prêter attention sans la présentation desdites lettres. Si, par hasard, il était présumé d’agir contrairement à cette règle, tout ce qui aurait été accompli entre-temps par les évêques, prélats, abbés ou prieurs sera tenu pour nul. »

Extravag. Comm., l. I, tit. iii, De electione, c. i. Cf. Pie IX, constitution Romanus pontifex, citée plus haut.

 

Dans la bulle Apostolicae Sedis (13 octobre 1869), Pie IX frappe de suspense, à encourir ipso facto, tous ceux qui enfreindraient cette règle. Cf. Cod., can. 2394.

 

2.Comment peut être restreinte la juridiction ordinaire ? —

 

La juridiction ecclésiastique peut être restreinte de trois manières, à savoir : par l’exemption, la réserve, et l’appel.

 

  1. L’exemption

 

C’est un privilège en vertu duquel une personne, une communauté ou un lieu sont soustraits à la juridiction d’un ordinaire d’ordre inférieur pour dépendre immédiatement d’un prélat supérieur. Quiconque reconnaît les divers degrés de juridiction existant dans l’Église, degrés qui s’échelonnent harmonieusement les uns au-dessus des autres, en présentant un caractère continu de liaison et de dépendance, ne saurait nier la validité des exemptions.

Leur utilité, quoi qu’il en soit d’abus toujours possibles, est surtout manifeste pour les ordres religieux. En effet, elles protègent l’unité des familles religieuses, favorisent en général la discipline régulière et préservent les communautés de mille inconvénients résultant de chocs aussi inévitables que douloureux. Cf. Bouix, Tractatus de jure regularium, t. ii, Paris, 1857, p. 110-120.

 

  1. La réserve

 

C’est un acte qui soustrait d’une façon permanente à la juridiction ordinaire une matière spéciale que le supérieur garde pour lui-même ou attribue à un autre. La réserve porte sur la juridiction tant au for interne qu’au for externe.

 

Le concile de Trente, sess. xiv, c. 7, sur la pénitence, montre la haute convenance des réserves et en expose la portée salutaire.

« Il nous semble, dit-il, qu’il importait souverainement au bon ordre du peuple chrétien, que certains crimes plus particulièrement odieux et graves ne fussent pas absous par n’importe qui, mais seulement par les plus hauts échelons de la hiérarchie (a summis duntaxat sacerdotibus).

Aussi c’est à juste titre que les souverains pontifes, vu le pouvoir suprême qui leur est conféré sur l’Église universelle, ont réservé à leur jugement spécial certaines causes criminelles plus graves.

Et il n’y a pas lieu de douter que les évêques ne possèdent, chacun dans son diocèse, la même facilité, qu’il convient d’ailleurs d’exercer non pour détruire, mais pour édifier, étant donnée l’autorité supérieure dont ils jouissent par rapport aux simples prêtres.

De cette réserve ils peuvent user surtout pour les fautes auxquelles une excommunication est annexée. » Denzinger-Bannwart, n. 903.

 

  1. L’appel

 

C’est le recours légal à un juge supérieur après une sentence portée par un juge inférieur, sentence où le plaignant se croit, à tort ou à raison, lésé dans ses intérêts ou sur le point de l’être.

 

On distingue l’appel judiciaire et l’appel extra-judiciaire, suivant que la raison qui le motive est fondée ou non sur un jugement rendu.

 

L’appel peut avoir un double effet : ou bien il est simplement dévolutif, ou bien il est en même temps suspensif.

Tout appel, fait dans les conditions voulues, produit un effet dévolutif. Cela veut dire que toute la cause est confiée au juge devant qui est interjeté l’appel, de telle sorte que, après avoir connu le bien fondé de l’appel, il puisse examiner la cause principale avec ses accessoires, et s’il en est besoin, porter une nouvelle sentence.

 

L’appel judiciaire a, régulièrement, un effet suspensif ; il lie la juridiction du premier juge, de telle sorte qu’il ne puisse pas procéder à l’exécution de la sentence qu’il a portée. Dans le cas, au contraire, d’un appel extra-judiciaire, il n’y a pas, régulièrement, d’effet suspensif mais seulement dévolutif. Codex, l. IV, tit. xiv, c. i. De appellatione, can. 1879-1891.

 

3.Comment se perd la juridiction ordinaire ? —

 

De deux manières principales, suivant la qualité de la volonté qui en est la cause. Cette volonté peut être ou celle du bénéficier ou celle de son supérieur légitime. Dans le premier cas, c’est la renonciation ; dans le second, la translation ou la privation.

 

  1. La renonciation

 

C’est la libre cession d’un office ou bénéfice ecclésiastique, faite pour de justes causes, devant le supérieur légitime qui l’accepte.

 

Elle est expresse ou tacite, suivant que le bénéficier se démet de son bénéfice entre les mains du supérieur, de vive voix ou par écrit, ou qu’au contraire il pose un fait qui, d’après une présomption du droit, implique la renonciation.

 

La renonciation expresse, elle-même, est simple ou conditionnelle :

simple, lorsqu’elle est pure et absolue ;

conditionnelle, lorsqu’il s’y adjoint une condition en faveur de celui qui résigne ou d’une tierce personne.

 

Une cause juste et légitime est toujours requise pour la renonciation à un bénéfice ; autrement le supérieur ne saurait l’accepter.

 

Ces causes sont résumées dans ces deux vers :

« Debilis, ignarus, male conscius, irregularis, Quem mala plebs odit, dans scandala, cedere possit. »

(« Faible, ignorant, de mauvaise conscience, irrégulier, haï par une foule mauvaise, causant des scandales, qu’il puisse céder. ») Cf. Décret. Greg. IX l. I, tit. ix, c. 10.

 

La renonciation ou la démission doit être acceptée par le supérieur légitime.

« Beneficiarius sine licentia praelati sui beneficio renunciare non potest, » (« Le bénéficiaire ne peut renoncer à son bénéfice sans la permission de son prélat. » ) déclare le pape Alexandre III, Décret. Greg. IX, l. I, tit. ix, c. 4. Cf. Cod., l. III, tit. xxv, can. 1484-1489.

 

Il faut en excepter le souverain pontife qui, n’ayant pas de supérieur sur la terre, peut librement se démettre.

« Romanus Pontifex potest libere papatui renunciare. » (« Le Pontife Romain peut librement renoncer au pontificat. ») Sext. Décret., l. I, t. vii, c. 1.

 

Ainsi qu’il résulte de la définition elle-même, cette renonciation doit être volontaire et libre. Une fois la démission acceptée, le bénéficier perd tout droit sur son bénéfice et se trouve, du même coup, dégagé de toute obligation à son sujet.

 

  1. La translation :

 

C’est le changement d’une personne ecclésiastique qui passe d’un office à un autre office, d’une Église à une autre Église.

Elle implique deux choses, à savoir : la cessation et, en même temps, l’acquisition de la juridiction, parce qu’elle implique un double terme marqué par le point de départ et celui d’arrivée.

 

La translation ne peut évidemment pas se faire en dehors de l’autorité du supérieur compétent.

Elle n’est légitime que si elle est justifiée par une utilité évidente ou une véritable nécessité. Cod., can. 1421, 1422, 1426, 1428.

 

  1. La privation

 

C’est l’acte par lequel un supérieur ecclésiastique destitue un clerc de son office.

Cet acte est extra-judiciaire ou judiciaire.

Le premier se pose par la révocation de celui qui a un office amovible au gré du collateur ;

le second, par la destitution d’offices inamovibles, c’est-à-dire, concédés à titre perpétuel.

Pour déposséder de ces derniers, une sentence du juge est requise. Le pape, toutefois, en vertu de la plénitude de son pouvoir, peut, sans aucune forme de jugement et pour la seule raison du bien public, priver de son office n’importe quel titulaire, fût-il évêque ou même cardinal. Cod., can. 2298, 2303 et 2304.

 

Voir Saint Thomas : IIaIIae, Q.39, a3 (corpus)

 

“Il y a deux pouvoirs spirituels : le pouvoir sacramentel, et le pouvoir juridictionnel. Le pouvoir sacramentel est celui qui est conféré par une consécration. Toutes les consécrations de l’Église sont immuables, tant que dure la chose consacrée ; on le voit même pour les choses inanimées ; ainsi un autel une fois consacré n’est consacré de nouveau que s’il a été détruit. C’est pourquoi un tel pouvoir, selon son essence, demeure en celui qui l’a reçu par consécration aussi longtemps que celui-ci reste en vie, s’égarerait-il dans le schisme ou l’hérésie. Cela est clair du fait qu’il n’est pas consacré de nouveau s’il revient à l’Église. Mais, parce qu’un pouvoir inférieur ne doit passer à l’acte que sous la motion d’un pouvoir supérieur, comme on le voit même dans les choses de la nature, il en résulte que ces hommes perdent l’usage de leur pouvoir et qu’il ne leur est plus permis d’en user. S’ils en usent cependant, leur pouvoir obtient son effet dans le domaine sacramentel, car en celui-ci l’homme n’agit que comme instrument de Dieu ; aussi les effets sacramentels ne sont-ils pas annulés par n’importe quelle faute chez celui qui confère le sacrement. Quant au pouvoir de juridiction, il est conféré par simple investiture humaine. Ce pouvoir ne demeure pas immuable. Et il ne subsiste pas chez les schismatiques et les hérétiques. C’est pourquoi ils ne peuvent ni absoudre, ni excommunier, ni donner des indulgences, ni faire quelque chose de ce genre ; s’ils le font, rien ne se produit.”

 

 

  1. B. La juridiction quasi-ordinaire.

 

On distingue de la juridiction ordinaire la juridiction quasi-ordinaire, ou vicaria, qui s’exerce dans certains cas précis, déterminés par le droit, mais non d’une manière régulière et ininterrompue. « Potestas (jurisdictionis) ordinaria potest esse sive propria sive vicaria. »

« « Le pouvoir (de juridiction) ordinaire peut être soit propre, soit vicaire. » Can. 197, § 2.

 

Cette juridiction appartient au chapitre ou au vicaire capitulaire pendant la vacance du siège épiscopal, aux légats, aux personnes qui ont reçu du pape la mission de protéger, de maintenir dans leurs droits et privilèges, certaines personnes ou corporations religieuses, telles que les universités, les couvents, les congrégations religieuses, etc.

 

  1. C. La juridiction déléguée. —

 

La juridiction déléguée est celle qu’on possède non pas en droit propre, c’est-à-dire, à raison d’un office ou d’une dignité, mais en vertu de la commission donnée par un autre dont on tient la place.

 

« Jurisdictio delegata ea est quam quis non habet jure proprio, hoc est, non ratione sui officii aut dignitatis, sed solum ex commissione alterius cujus vice fungitur. »

(« La juridiction déléguée est celle qu’une personne n’a pas de son propre droit, c’est-à-dire non en raison de sa charge ou de sa dignité, mais uniquement par la commission d’un autre dont elle agit en tant que vicaire. »)

Reiffenstuel, In I Décret., i, 29, n. 11.

 

Le code la définit encore plus brièvement : « Potestas delegata ea est quae commissa est personae. » Can. 197, § 1.

 

Quiconque a une juridiction ordinaire peut donc la subdéléguer en tout ou en partie, à moins d’une disposition contraire du droit. Can. 199, § 1.

 

Mais une juridiction déléguée peut-elle à son tour se subdéléguer ?

 

Voici les réponses précises du Code.

Le délégué du pape a généralement le droit de subdéléguer, à moins que le contraire ne soit expressément commandé par les circonstances. Can. 199 § 2.

De même un pouvoir délégué pour l’universalité des causes par celui qui jouit d’un pouvoir ordinaire au-dessous du pape, peut être subdélégué dans chaque cas particulier. Ibid., § 3.

Dans les autres cas, le pouvoir de juridiction délégué peut être subdélégué seulement en vertu d’une concession expressément faite.

Toutefois les juges délégués peuvent subdéléguer, sans une commission formelle, un article non juridictionnel. En d’autres termes, la délégation est généralement admissible quand la délégation ne se rapporte pas proprement à un acte juridictionnel. Ibid., § 4.

À moins d’une concession expresse, nul pouvoir subdélégué ne peut de nouveau être subdélégué. §5.

 

Quant à l’extension de la juridiction déléguée elle dépend, cela va de soi, de la volonté de celui qui donne délégation, elle doit dès lors, s’interpréter dans un sens strict à moins qu’il ne s’agisse d’une délégation ad universalitatem casuum. Can. 200, § 1. C’est au délégué à fournir la preuve de sa délégation.

 

Le pouvoir juridictionnel d’un délégué ne commence que lorsqu’il a ses pleins pouvoirs entre les mains ; avant cela, tous les actes de juridiction qu’il accomplit sont frappés de nullité, de même que ceux qu’il poursuit en outrepassant ses pouvoirs.

Toutefois il ne les dépasse point si, dans l’exécution de son mandat, il prend un autre moyen que celui qui agrée au mandant, à moins que le moyen négligé n’ait été prescrit comme condition. Can. 203, § 1 et 2.

 

On peut aussi établir simultanément plusieurs délégués pour une seule et même affaire.

 

Alors plusieurs hypothèses sont à envisager :

– Si chacun a reçu commission pour toute l’affaire, c’est à celui qui l’a commencée à la décider, à moins qu’il n’en soit empêché dans la suite ou qu’il ne veuille plus la continuer.

– Si chacun n’a pas reçu cette commission, aucun délégué ne doit agir sans l’autre, à moins d’une disposition contraire exprimée dans le mandat.

Dans le doute, il faut présumer le premier cas lorsqu’il s’agit d’une affaire extra-judiciaire, et le second cas quand il est question d’une affaire judiciaire. Lorsque plusieurs ont été successivement délégués pour la même affaire, celle-ci doit être traitée par celui qui a reçu un mandat antérieur aux autres, mandat qu’aucun rescrit n’est ensuite venu abroger. Can. 205, § 1, 2 et 3.

 

De la décision du délégué on peut en appeler au mandant ; mais lorsqu’un délégué du pape a subdélégué toute sa commission à un autre, l’appel doit être adressé directement au pape.

 

Une délégation s’éteint par l’accomplissement du mandat, par l’écoulement du temps fixé ou l’épuisement des cas limitant le mandat, par la cessation du but de la délégation, par la révocation du mandant, révocation intimée directement au délégué, ou par la renonciation de celui-ci, renonciation signifiée au mandant et acceptée par lui.

 

La délégation finit toujours à la mort du délégué, quand les pleins pouvoirs lui ont été personnellement accordés. Si elle lui a été octroyée parce qu’investi d’une fonction déterminée, elle passe à son successeur dans la fonction. Enfin, lorsque plusieurs ont été simultanément délégués pour une seule et même affaire, et que nul d’entre eux n’a reçu commission pour toute l’affaire, la mort de l’un fait cesser la délégation pour tous les autres, à moins qu’une autre disposition ne résulte de la teneur de la délégation. Can. 207, § 1 et 3.

 

 IV. Sujet du pouvoir de juridiction

Plusieurs conditions sont requises dans le sujet de la juridiction ecclésiastique.

 

1° La première est l‘état clérical,

 

Car les laïques n’ont reçu aucun pouvoir de disposer des choses de l’Église ; ils ont le devoir d’obéir, non l’autorité de commander.

« Quum laicis, quamvis religiosis, disponendi de rebus Ecclesiae nulla sit attributa potestas, quos obsequendi manet necessitas, non auctoritas imperandi. »

(« Puisque les laïcs, même religieux, n’ont reçu aucun pouvoir de disposer des affaires de l’Église, il leur incombe l’obligation d’obéir, et non l’autorité de commander. »)

Décret. Greg. IX, l. III, tit. xiii, c. 12.

 

D’où cet ordre formel intimé aux laïques de ne point se mêler de choses ecclésiastiques : « Decernimus ut laici ecclesiastica tractare negotia non praesumant. » Ibid., l. II, tit. i, c. 2.

 

Quant à la femme, elle n’est pas susceptible, au moins de droit ecclésiastique, de recevoir juridiction dans l’Église. C’est le sentiment commun des théologiens et des canonistes. Cf. Bouix, Tractatus de jure regularium, t. ii, p. 452 sq.

 

Saint Thomas en donne la raison :

 

« Dicendum, quod mulier, secundum Apostolum, est in statu subjectionis : et ideo non potest habere aliquam jurisdictionem spiritualem ; quia etiam secundum Philosophum in VIII Ethic., c. vii et I Polit., cap. ult., corruptio urbanitatis est, quando ad mulierem pervenit dominium : unde mulier non habet neque clavem ordinis nec clavem jurisdictionis. Sed mulieri committitur aliquis usus clavium sicut habere correctionem in subditas mulieres, propter periculum quod imminere posset, si viri mulieribus cohabitarent. »

 

« Il faut dire que la femme, selon l’Apôtre, est dans un état de sujétion : et donc elle ne peut avoir aucune juridiction spirituelle ; car, selon le Philosophe, dans le huitième livre des Éthiques, chapitre sept, et le premier livre de la Politique, dernier chapitre, il y a corruption de la civilité lorsque le pouvoir échoit à une femme : ainsi, la femme n’a ni la clé de l’ordre ni la clé de la juridiction. Mais il est permis à une femme d’exercer un certain usage des clés, comme avoir le pouvoir de corriger les femmes qui lui sont soumises, en raison du danger qui pourrait survenir si des hommes cohabitaient avec des femmes. »

In IV. Sent., dist. XIX, q. i, a. 1, q. 3, ad 4um. Cf. Décret. Greg. IX, l. V, tit. xxxviii, c. 10.

 

2° La seconde condition est le degré de la hiérarchie d’ordre exigé par la dignité ou l’office à obtenir.

 

Le pape Innocent IV, au concile général de Lyon, en 1245, établit que tout clerc appelé à gouverner une Église devait, dans l’année même, recevoir l’ordre de la prêtrise. S’il ne le faisait pas, il était de droit et sans autre monition privé de sa charge. Sext. Décret., l. I, tit. vi, c. 14. Le concile de Trente est encore plus précis sur ce point :

« Neminem etiam deinceps ad dignitatem, canonicatum, aut portionem recipiant, nisi qui eo ordine sacro sit initiatus quam illa dignitas, praebenda aut portio requirit. »

(« Que désormais nul ne soit reçu à une dignité, un canonicat ou une portion, s’il n’a pas été initié à l’ordre sacré requis par cette dignité, prébende ou portion. « )

Sess. xxiv, de Reform., c. xii.

 

3° L’âge, l’honnêteté des mœurs et la science compétente sont énumérées parmi les conditions de rigueur pour obtenir la juridiction ecclésiastique.

 

– L’Àge et l’honnêteté

 

Le même Innocent IV, au concile de Lyon, porte le décret suivant, qui fixe à vingt-cinq ans la limite d’âge inférieure pour les bénéfices à charge d’âmes :

« Praesenti decreto statuimus : ut nullus ad regimen parochialis ecclesiae assumatur, nisi sit idoneus moribus, scientia et aetate ; decernentes collationes de parochialibus ecclesiis, iis qui non attigerint vigesimum quintum annum, de caetero faciendas, viribus omnino carere. »

(« Par le présent décret, nous établissons : que nul ne soit admis à la direction d’une église paroissiale s’il n’est idoine par ses mœurs, sa science et son âge ; nous décrétons que les collations des églises paroissiales faites désormais à ceux qui n’ont pas atteint l’âge de vingt-cinq ans sont entièrement dépourvues de validité. »)

Sext. Décret., l. I, tit. vi, c. xiv.

 

Le concile de Trente, sess. xxiv, de Reform., c. xii, renouvelle et confirme les dispositifs de ce décret, mais en précisant, pour l’âge requis, qu’il suffit d’avoir commencé la 25ᵉ année :

« Nemo… promoveatur nisi qui saltem vigesimum aetatis suae annum attigerit. » Cod., can. 974, § 1.

 

– La Science

 

Bien qu’une science éminente soit désirable dans un pasteur d’âmes, dit Innocent III, l’Église tolère qu’il ait seulement la science compétente. Décret. Greg. IX, l. I, tit. ix, c. x.

La science éminente fait résoudre immédiatement toutes les difficultés qui peuvent se présenter dans l’exercice compliqué d’une charge. Par la science compétente, mais suffisante, on est à même de répondre correctement aux difficultés ordinaires ; quant à celles qui sont spécialement ardues, on est porté à douter sagement et à consulter.

Mais cette science demande à être prouvée, et pour accéder à certaines hautes fonctions de la hiérarchie ecclésiastique, il faut, dit le concile de Trente, produire les titres de docteur ou de licencié en théologie ou en droit canonique.

Le témoignage public de quelque académie attestant la capacité d’enseigner peut y suppléer. Il s’agit dans le texte de ceux qui peuvent être promus aux Églises cathédrales.

« Scientia vero ejusmodi polleat ut muneris sibi injungendi necessitati possit satisfacere ; ideoque antea in universitate studiorum magister, sive doctor, aut licentiatus, in sacra theologia vel jure canonico, merito sit promotus, aut publico alicujus academiae testimonio idoneus ad alios docendos ostendatur. »

(« Que sa science soit telle qu’il puisse répondre aux exigences de la charge qui lui est confiée ; et pour cette raison, qu’il ait été préalablement promu, à juste titre, au titre de maître, docteur ou licencié en théologie sacrée ou en droit canonique dans une université d’études, ou qu’il soit reconnu, par le témoignage public d’une académie, comme apte à enseigner les autres. »)

Sess. xxii, de Reform., c. ii.

 

D’après le Code, le candidat à l’épiscopat doit théoriquement être docteur ou tout au moins licencié en théologie ou en droit canonique : à défaut de ces titres, il lui faut au moins être très versé dans les dites disciplines, earum disciplinarum vere peritus. Can. 331, § 1, et can. 50.

 

Les mêmes conditions de science sont demandées au vicaire général. Can. 367, § 1. Les canons 1598, § 2, 1589, § 1, 2017, 1018, 399, § 1, 1356, § 1 énumèrent les cas où le titre de docteur soit en théologie, soit en droit canonique est théoriquement requis ou, du moins, est censé justifier la préférence de celui qui en est pourvu.

 

4° Le plus digne

 

Toutes ces qualités réunies sont requises dans le sujet de la juridiction ecclésiastique et le rendent digne de l’office auquel il est appelé ; mais plusieurs peuvent réunir ces mêmes qualités, et alors à qui faut-il donner la préférence ? Au plus digne.

C’est l’enseignement formel du concile de Trente. On sent percer une véritable émotion dans le texte où il supplie tous ceux qui, d’une manière ou de l’autre, ont part aux promotions ecclésiastiques, de ne se laisser guider par aucune autre considération que celle de l’intérêt supérieur de l’Église : ils pécheraient mortellement, ajoute-t-il, s’ils ne choisissaient pas ceux qu’ils jugent les plus dignes et le plus utiles au bien général :

« eosque alienis peccatis communicantes mortaliter peccare nisi quos digniores et Ecclesiae magis utiles ipsi judicaverint non quidem precibus vel humano affectu, aut ambientium suggestionibus, sed eorum exigentibus meritis praeferre diligenter curaverint. »

(« Et ceux qui participent aux péchés d’autrui pèchent mortellement, à moins qu’ils n’aient pris soin de préférer, avec diligence, ceux qu’ils ont jugés plus dignes et plus utiles à l’Église, non pas en raison de prières, d’affection humaine ou de suggestions des solliciteurs, mais en raison de leurs mérites exigés. »)

Sess. xxiv, de Reform., c. i.

 

Le pape Innocent XI a condamné la proposition suivante : « Quand le concile de Trente déclare que ceux-là « participent aux péchés d’autrui et pèchent mortellement qui n’élèvent pas aux honneurs de l’Église ceux qu’ils estiment les plus dignes et les plus utiles à l’Église » le concile, par ces mots : « les plus dignes » veut dire simplement « ceux qui sont dignes » en prenant le comparatif pour le positif, ou bien par une manière de parler légèrement impropre il a mis « les plus dignes » pour exclure les indignes mais pas ceux qui sont simplement dignes ; ou bien enfin il ne parle que des cas où il y a concours. » Prop. 17 ; Denz.-Bannw., n. 1197.

 

Cette dignité plus grande ne se mesure pas à la supériorité dans la doctrine, l’honnêteté de la vie ou la noblesse de la naissance, mais à la supériorité de toutes les qualités de l’âme et du corps, jointe à une aptitude spéciale à gouverner, de telle sorte que, toutes choses bien considérées, le sujet en question soit jugé plus utile que tout autre dans le poste auquel il aspire ou est appelé.

 

Il y a là évidemment matière à bien des appréciations personnelles. Saint Thomas, précisant encore davantage dit, en présentant un exemple typique, que le meilleur évêque à choisir est celui qui paraît le plus apte à gouverner telle Église. « Le ministère ecclésiastique n’est pas confié aux hommes pour leur assurer la rémunération du siècle à venir. Et dès lors celui qui doit choisir quelqu’un comme évêque n’est pas tenu de choisir celui qui est, absolument parlant, le meilleur suivant l’ordre de la grâce sanctifiante mais celui qui est le meilleur pour le gouvernement de l’Église, capable de l’instruire, de la défendre, de la gouverner pacifiquement. » Sum. theol., IIa IIae, q. clxxxv, a. 3.

 

  1. Objet ou matière du pouvoir de juridiction dans l’Église

 

1° Distinction entre le for externe et le for interne.

 

Dans toute l’étendue du pouvoir des clefs institué par le Christ, dit le cardinal Billot, il faut distinguer un double mode de juridiction, suivant que, dans l’exercice de sa juridiction, l’Église joue le rôle de cause principale ou bien celui d’instrument de Dieu.

Le premier mode consiste d’abord et principalement à lier, et bien qu’il s’étende à toute matière dont l’enchaînement conduit à la fin du royaume des cieux, directement cependant et en soi il vise les seuls actes externes.

Le second mode contribue surtout à délier, non pas assurément des lois divines soit naturelles soit positives, mais seulement des attaches, encore naturellement susceptibles d’être brisées, que des particuliers ont contractées par leurs propres actes, un for même de Dieu. De Ecclesia Christi, Rome, 1903, p. 466.

 

C’est exprimer, d’une autre manière, la distinction entre le for externe et le for interne.

L’Église a un for à elle, extérieur et public, comme la société civile possède le sien. Mais, outre ce for, il y a le for de Dieu ; c’est le for intime, ou le for de la conscience.

Dans le for de Dieu règne la loi divine comme telle et en sont contractées les obligations ; là également s’encourt la responsabilité morale et se contracte la culpabilité entraînant les peines de la vie future.

 

L’Église a juridiction tant au for externe qu’au for interne, mais d’une manière différente.

Dans le premier cas, elle agit comme cause principale et son rôle consiste surtout à lier ; dans le second cas, c’est comme cause instrumentale, et alors sa mission principale est de délier. Elle a le pouvoir de lier tout ce qui peut l’être sur la terre pour atteindre la fin du royaume des cieux, et cela dans les limites assignées, en tout ordre, à un législateur humain. Billot, op. cit., p. 470. C’est le sens de la célèbre parole de Notre-Seigneur à saint Pierre : « Je te donnerai les clefs du royaume des cieux, et tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié aux cieux. » Matth., xvi, 19.

 

Son pouvoir de délier s’exerce non pas évidemment sur les lois divines dont aucune autorité humaine ne saurait exempter, mais uniquement sur les liens contractés par les individus à raison de la loi divine. Des obligations sont assumées à cause de la soumission à la loi, ou des fautes sont commises par la violation de cette même loi ; c’est un double lien qui enchaîne l’individu, sans qu’il lui soit possible de s’en dégager de lui-même. L’Église, agissant comme instrument de Dieu, vient l’en délivrer, et c’est le principal objet de son pouvoir de juridiction ministérielle. Billot, op. cit., p. 475.

 

2° Objet de la juridiction au for externe. —

 

Cette juridiction se présente sous un triple aspect. Le titulaire de la juridiction dans l’intérêt commun du groupement qui lui est confié porte des lois ; de ces lois il surveille l’exécution, il est dès lors amené à juger soit les cas litigieux que soulève l’application des lois, soit les individus qui ont contrevenu aux règlements portés ; ces jugements il doit les faire exécuter. Ainsi la juridiction se ramifie en un triple pouvoir : législatif, judiciaire, coercitif. Nous le considérerons ici comme étant le pouvoir général de l’Église, quoi qu’il en soit des personnes en lesquelles réside ce pouvoir.

 

2.1. Pouvoir législatif de l’Église. —

 

Il a pour objet tant les choses concernant la foi et les mœurs, que les questions de discipline. Mais dans les choses de foi et de mœurs, l’obligation de la loi ecclésiastique vient se joindre à l’obligation de droit divin ; en matière de discipline, toute l’obligation est de droit ecclésiastique.

Toujours cependant le privilège de l’infaillibilité accompagne l’exercice du pouvoir législatif suprême de l’Église.

Celle-ci, en effet, par suite d’une assistance spéciale de Dieu, ne peut jamais établir ou approuver une discipline qui serait radicalement opposée aux règles de la foi et de la sainteté de l’Évangile. La question du pouvoir législatif est traitée en détail à l’art. Église t. iv, col. 2200 sq. du D.T.C.

 

2.2. Pouvoir judiciaire. —

 

L’existence d’un tel pouvoir ne saurait être contestée que par ceux qui dénient à l’Église le caractère de société parfaite ; ce droit est la conséquence naturelle du pouvoir législatif. Dès là qu’une société est investie du droit de porter des lois, elle est par le fait même obligée de juger.

 

Une première forme de jugement est celle qu’on peut appeler la forme répressive ou pénale. Dès qu’une loi portée par l’autorité supérieure est transgressée, il y a lieu de punir ou de réprimer l’auteur de la transgression. Sommaire ou compliquée, expéditive ou prolongée, une procédure est nécessaire, qui montre d’abord la culpabilité de l’accusé, que lui applique ensuite la sentence convenable.

 

Une seconde forme de jugement est celle que l’on peut appeler contentieuse. De leur nature les lois sont générales, elles ne peuvent viser la complexité de cas particuliers ; une déclaration de l’autorité sociale est nécessaire pour montrer quelle loi, ou quelle combinaison de textes législatifs, doit jouer dans un cas déterminé. Les lois sont multiples, elles peuvent se trouver, à un moment déterminé, en conflit apparent ; il y a lieu de trancher le différend qui semble ainsi s’élever. Les sociétés, même imparfaites, sont déjà amenées par la force des choses à ébaucher, pour leur usage privé, un commencement d’organisation judiciaire. Un syndicat, un club, comme il a ses lois, a ses tribunaux spéciaux, au besoin son jury ; comment l’Église, société parfaite, n’aurait-elle pas songé dès le début de son existence à organiser, en son sein, une administration judiciaire ?

 

L’ Histoire

 

En fait dès les premières années de son existence, on lui voit rendre non seulement des jugements doctrinaux, mais de véritables sentences judiciaires. Le cas de saint Paul, condamnant à distance l’incestueux de Corinthe est le premier type d’un jugement pénal, I Cor., v, 1-5 ; la prescription qu’il fait aux néophytes de soumettre leurs différends à l’arbitrage de leurs frères et, sans doute, à celui des dirigeants de la communauté nous fournit un type de juridiction contentieuse, I Cor., vi, 1-8. L’histoire des conciles offrirait un nombre incalculable d’exemples de jugements ecclésiastiques ; les cas d’espèces, les questions de culpabilité de telle ou telle personne, les différends entre prélats, entre autorités ecclésiastiques et pouvoirs laïques qui se croient, à tort ou à raison, lésés par celles-ci, les contestations mêmes entre laïques sur des points qui touchent de près ou de loin aux questions religieuses, tout cela a tenu dans les assemblées ecclésiastiques, imposantes ou restreintes, une place beaucoup plus considérable que les décisions doctrinales, morales ou disciplinaires. Les conciles furent, dans le passé, des assemblées judiciaires autant et plus que des assemblées législatives.

 

Nous n’avons pas à faire ici l’histoire des institutions judiciaires dans l’Église : cette histoire ressortit au droit canonique. Qu’il suffise d’indiquer que de bonne heure s’est trouvé constitué le tribunal épiscopal, fonctionnant dans chaque diocèse, suivant des règles plus ou moins nettement définies.

 

L’instance supérieure a été plus longue à se dégager et c’est ici surtout que les conciles provinciaux ou régionaux ont joué le rôle de cour d’appel. L’instance suprême fonctionne dès les tout premiers temps ; c’est dès les origines mêmes que l’on voit porter au tribunal des successeurs de saint Pierre les multiples différends qui surgissent dans les diverses Églises. Les innombrables synodes romains, où les papes rassemblent avec le clergé de Rome, un nombre plus ou moins imposant d’évêques italiens (suburbicaires dans le sens ancien du mot) constituent l’instance suprême. On peut dire que le système fonctionne déjà au ivᵉ siècle, à la paix de l’Église, sans qu’en veuille exclure par là des décisions prises antérieurement. Ainsi tribunal épiscopal, cour pontificale suprême nous apparaissent comme des rouages extrêmement anciens de la justice ecclésiastique.

 

La question de compétence sera beaucoup plus longue à se clarifier. Elle se subdivise elle-même en deux autres.

Quelles sont d’abord les matières qui ressortissent au for ecclésiastique ?

Quelles sont les attributions des divers tribunaux superposés ?

Sur le premier point le Code de droit actuel est très précis : « L’Église, dit-il, connaît d’un droit propre et exclusif :

  1. Des causes qui regardent les choses spirituelles ou qui leur sont connexes ;
  2. de la violation des lois ecclésiastiques et de toute affaire où intervient l’idée de péché, pour ce qui concerne la définition de la faute et l’application des peines ecclésiastiques ;
  3. de toutes les causes, soit contentieuses, soit criminelles qui regardent les personnes jouissant du privilège du for. » Can. 1553 § 1.

 

En somme l’Église s’attribue une compétence exclusive : pour ce qui regarde les causes proprement spirituelles : pour ce qui concerne les causes, même strictement temporelles de certaines personnes, à savoir, celles qui jouissent du privilège du for.

Sur le premier point il n’y avait pas lieu à hésiter, sauf en ce qui concerne les questions mixtes, c’est-à-dire celles où des intérêts temporels sont en jeu à raison de questions spirituelles.

C’est autour de ces questions mixtes que se livreront entre légistes et canonistes les plus rudes batailles. Non moins violentes furent celles auxquelles donna lieu le privilège du for. Voir art. For (Privilège du), t. vi, col. 527-530, et Immunités ecclésiastiques, t. vii, col. 1225-1226 dans le D.T.C.

 

Nous n’avons pas à retracer ici l’élaboration du droit ecclésiastique actuel sur ces divers points. Faisons seulement remarquer qu’en laissant de côté les questions litigieuses où la justice séculière et la justice ecclésiastique peuvent trouver matière à conflit, il reste encore à cette dernière un très large champ d’activité.

Les officialités diocésaines, au moins pour les causes matrimoniales, les tribunaux romains, pour toutes sortes de causes ecclésiastiques, restent toujours un organe extrêmement important dans la vie de l’Église.

Quant à la compétence des divers tribunaux ecclésiastiques elle ne s’est pas fixée non plus sans difficultés.

Le code actuel fixe la compétence des diverses instances, tribunal épiscopal, tribunal métropolitain, tribunaux romains ; après avoir précisé que le « Siège romain n’est jugé par personne », prima Sedes a nemine judicatur, can. 1556, il rappelle au can. 1557, quelles sont les personnes et les causes, que seul le souverain pontife a le droit de juger soit en personne, soit par ses tribunaux. Sur aucun de ces points la législation, ni la jurisprudence ne se sont faites du premier coup. On trouvera l’essentiel de ce que le théologien en doit savoir aux art. Causes majeures, t. ii, col. 2039-2042 ; décrétales (Fausses), t. vi, col. 212-222 ; Évêques, t. v, col. 1714 sq., et spécialement à l’art. Pape.

Le droit canonique étudie en détail l’organisation judiciaire de l’Église et les règles générales et particulières de procédure. Voir le Code, l. IV, De processibus, part. I, De judiciis, et part. II, De modo procedendi, in nonnullis expediendis negotiis vel sanctionibus poenalibus applicandis.

 

2.3. Pouvoir coercitif. —

 

On désigne par ce mot le pouvoir que possède toute société de contraindre ses membres à l’observation des lois. Il ne s’agit pas de la contrainte morale qu’impose la loi par le fait même qu’elle est établie, mais de la sanction extérieure, d’ordre temporel ou spirituel, dont la crainte peut faire plier les volontés indécises, dont l’application réprime les écarts coupables.

En ce dernier sens le pouvoir coercitif est essentiellement le droit de punir ou d’infliger des peines. Et ce pouvoir découle tout naturellement du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire. Ces deux derniers seraient absolument illusoires s’ils ne trouvaient pas dans l’autre un moyen de faire respecter leurs décisions, tant générales que particulières.

 

On ne fera pas ici la théorie de ce pouvoir qui sera étudié à l’art. « Peines ecclésiastiques » (D.T.C.). Qu’il suffise d’indiquer que l’existence de ce pouvoir dans l’Église est la conséquence inéluctable de tout ce qui a été dit précédemment sur le caractère de société parfaite que possède le groupement chrétien, qu’elle est aussi la conséquence nécessaire des pouvoirs législatif et judiciaire possédés par l’Église.

De fait l’Église a fait usage de ce droit dès les premiers moments de son existence et, quoi qu’il en soit des parties tombées en désuétude de sa législation pénale, elle continue à appliquer aujourd’hui encore à diverses catégories de délinquants des peines prévues par le droit. La dernière partie du Code, l. V, part. ii. « De poenis » énumère longuement les diverses peines, les unes d’ordre exclusivement spirituel, les autres d’ordre temporel, qui frappent les différents crimes ou délits.

 

  1. Source et étendue de ce même pouvoir

 

1° Dans l’Église, la plénitude du pouvoir de juridiction réside dans le pape. C’est la doctrine même de l’Évangile, doctrine consacrée et confirmée par les définitions du concile du Vatican. Elle est étudiée en détail à l’art. « Pape » dans le D.T.C.

 

Denzinger N° 3060 :

« Ainsi donc, Nous enseignons et déclarons que l’Eglise romaine (le diocèse de Rome, le Pape), par disposition du Seigneur, possède sur toutes les autres une primauté de pouvoir ordinaire et que ce pouvoir de juridiction du pontife romain, qui est vraiment épiscopal, est immédiat.

Les pasteurs de tous rites et de tous rangs ainsi que les fidèles, tant chacun séparément que tous ensemble, sont tenus au devoir de subordination hiérarchique et de vraie obéissance, non seulement dans les questions qui concernent la foi et les moeurs, mais aussi dans celles qui touchent à la discipline et au gouvernement de l’Eglise répandue dans le monde entier ; de telle manière que, en gardant l’unité de communion et de profession de foi avec le pontife romain, l’Eglise est un seul troupeau sous un seul pasteur suprême Jn 10,16 . Telle est la doctrine de la vérité catholique, dont personne ne peut s’écarter sans danger pour la foi et le salut. »

 

2° Toute juridiction épiscopale, même celle des Apôtres, descend de cette plénitude dont le Christ avait enrichi le Prince des Apôtres et ses successeurs. Cette question délicate où il faut tenir compte à la fois et des droits de la théorie et des constatations de la pratique, ne peut être qu’indiquée ici ; voir l’art. Pape (D.T.C.)

 

3° Toutefois les évêques appartiennent de droit divin à la hiérarchie de l’Église ; ils gouvernent la portion du troupeau du Christ qui leur est confié avec un pouvoir de juridiction propre et ordinaire, et bien que ce pouvoir puisse être plus ou moins restreint par l’autorité supérieure du pape, il n’en est pas moins un pouvoir complet, s’étendant à toutes les parties du gouvernement ecclésiastique tant au for externe qu’au for interne.

Le concile de Trente affirme cette doctrine de la manière la plus catégorique :

« Sacrosancta synodus declarat praeter ceteros ecclesiasticos gradus episcopos, qui in apostolorum locum successerunt, ad hunc hierarchicum ordinem praecipue pertinere, et positos, sicut idem apostolus ait, a Spiritu sancto regere Ecclesiam Dei. »

(« Le saint Concile déclare que, parmi tous les degrés ecclésiastiques, les évêques, qui ont succédé aux apôtres, appartiennent principalement à cet ordre hiérarchique et ont été établis, comme le dit l’Apôtre, par l’Esprit Saint pour gouverner l’Église de Dieu. ») Sess. xxiii, De ordine, iv ; Denz., n. 960.

On voit que le concile s’appuie surtout sur la parole adressée par saint Paul aux personnes chargées de gouverner l’Église d’Éphèse, quoi qu’il en soit des titres mêmes portés par ces personnes. Cf. Act., xx, 17-35.

 

D’après cette doctrine, les évêques ont le pouvoir de régir ou de gouverner le peuple de Dieu. Mais ce pouvoir comprend, il va de soi, toutes les parties du gouvernement ecclésiastique et existe non seulement pour administrer les sacrements, mais encore pour porter des lois, juger et punir.

 

Voici ce que dit à ce sujet saint Thomas :

« L’Église est la société des fidèles. Or il y a deux sortes de sociétés humaines : les groupements économiques ou domestiques par exemple la famille, les groupements politiques, telle la nation. Or l’Église est assimilable aux groupements politiques. L’Église n’est-elle pas appelée un peuple ? Quant aux divers couvents et aux diverses paroisses d’un diocèse il faut les assimiler soit aux familles, soit aux diverses organisations. Et c’est pourquoi l’évêque seul est proprement prélat de l’Église, c’est pourquoi lui seul reçoit l’anneau nuptial de l’Église, c’est pourquoi lui seul a plein pouvoir pour la dispensation des sacrements, pleine juridiction à son for, tout de même qu’un personnage officiel, quasi persona publica. Les autres n’ont ces pouvoirs que pour autant qu’il les leur commet. » In IV. Sent., dist. XX, a. 4, sol. i.

 

Il importe toutefois de remarquer ici que ces paroles doivent s’entendre avec la limitation qu’implique nécessairement la particularité et la subordination du pouvoir épiscopal.

 

Tout d’abord sont exemptés de la juridiction particulière des évêques :

 

– toutes les causes qui concernent l’ordre de l’Église universelle ou qui ont avec cet ordre une connexion intime et qui, pour cette raison, sont appelées causes majeures. Celles-là appartiennent de droit au Siège apostolique. Les prescriptions du droit canonique l’établissent et la raison elle-même montre que, dans toute société bien ordonnée, les affaires qui intéressent le bien commun de tout l’État sont toujours dévolues au pouvoir suprême.

 

– Il en est de même de toute matière que le souverain pontife règle lui-même ou s’est réservé. Il est certain qu’il peut soustraire à la juridiction des évêques certaines choses ou certaines personnes qui autrement y appartiendraient. Car bien que, de droit divin, les évêques soient les pasteurs ordinaires du troupeau qui leur a été confié, leur pouvoir cependant peut souffrir certaines restrictions qui ne l’empêchent nullement d’être le pouvoir de paître le peuple de Dieu.

 

Excepté le pontife romain, aucun évêque n’a, de droit divin, juridiction sur les autres évêques.

Tous les degrés de juridiction patriarcale, primatiale ou archiépiscopale, ne sont considérés que comme des participations de la primauté de saint Pierre.

 

L’épiscopat en effet, n’est autre chose que le collège apostolique continué à travers les siècles jusqu’à la fin du monde.

Or, dans le collège apostolique il n’y eut aucune supériorité établie par le Christ, en dehors de celle de Pierre.

 

Donc, dans le corps épiscopal, aucun évêque n’a sur un autre évêque un pouvoir issu de l’institution du Christ, si l’on excepte la supériorité du pontife romain, chef suprême de l’Église. Et, de fait, la juridiction des patriarches a pratiquement cessé dans l’Église. Donc elle n’était pas de droit divin, car il est impossible de voir cesser dans l’Église ce qui est d’institution divine.

 

Il en est de même des autres degrés existant dans l’ordre épiscopal, comme celui des primats et des archevêques. Tous tirent théoriquement leur origine de l’autorité de Pierre ou de ses successeurs, quoi qu’il en soit d’ailleurs des circonstances historiques où les diverses juridictions superposées ont pris naissance.

Chose intéressante, la théorie est déjà formulée avec quelque précision par le pape saint Léon dans une lettre à Anastase, évêque de Thessalonique. On sait que depuis le début du ivᵉ siècle, le Saint-Siège s’efforçait de faire de l’évêque de cette ville son vicaire attitré pour les provinces de l’Illyricum, que les événements politiques tendaient de plus en plus à séparer du ressort patriarcal romain. Les diverses instructions adressées à Anastase par saint Léon constituent un code complet des devoirs et des droits du vicaire pontifical. Voir S. Léon, Epist., v, vi, xiv. Cette dernière exprime au mieux les raisons théoriques de ces droits et de ces devoirs :

« La liaison de toutes les parties du corps (de l’Église) en fait la santé et la beauté ; cette liaison de tout le corps requiert une âme unique (unanimitatem), surtout elle exige la concorde des évêques (sacerdotum). Tous, il est vrai, ont même dignité, mais non le même rang (non est tamen ordo generalis). Déjà entre les bienheureux apôtres, lesquels avaient similitude d’honneur, il y eut différence de pouvoir (discretio potestatis) ; tous avaient été également élus, un seul pourtant reçut la prééminence sur les autres. C’est le modèle d’où est dérivée la distinction des évêques. Avec grande sagesse il a été prévu que tous ne revendiquent pas tous les droits, mais que, dans chaque province, il y eut un évêque dont la décision (sententia) fit prime sur celle de ses frères. Finalement certains évêques, dans les plus grandes villes, reçurent une part plus grande au gouvernement (sollicitudinem ampliorem), par eux les soucis entraînés par le gouvernement de l’Église conflueraient à l’unique siège de Pierre, et nul ne se soustrairait à la tête (et nihil usquam a suo capite dissideret). P. L., t. liv, col. 696.

 

Au second concile de Lyon, tenu en 1274, les grecs souscrivirent la profession de foi envoyée par Grégoire X, où l’on relève le passage suivant :

« De ce pouvoir suprême (qui appartient à l’Église romaine), découle le droit pour elle d’appeler d’autres Églises à partager ses préoccupations gouvernementales ; à beaucoup de ces sièges principalement aux sièges patriarcaux, cette Église romaine a conféré divers privilèges, mais en sauvegardant toujours, tant dans les conciles généraux, que dans plusieurs autres, ses propres prérogatives. » Denzinger-Bannwart, n. 466.

 

4° En dehors des évêques, personne n’appartient à la hiérarchie de juridiction divinement instituée dans l’Église.

Il n’y a, en effet, à appartenir à cette hiérarchie que ceux qui gouvernent dans l’Église avec une juridiction propre et ordinaire. Or les évêques sont les seuls à réaliser cette condition. Si un doute pouvait surgir à cet effet, ce serait au sujet des cardinaux, des prélats réguliers ou des curés.

 

Or les cardinaux, en tant que tels, n’ont point un pouvoir distinct de celui qui est propre au souverain pontife dont ils sont les conseillers et les aides dans le gouvernement de l’Église universelle. On connaît leur rôle pendant la vacance du siège pontifical et pour l’élection du nouveau pape. Ils ne constituent pas un ordre auquel appartienne une juridiction propre, et ne présentent aucun titre à une institution divine.

 

Si l’on passe des cardinaux aux prélats réguliers, le doute a encore moins de consistance.

Le pouvoir de ces derniers est de deux sortes : l’un est dominatif et l’autre de juridiction.

Le premier appartient à l’ordre domestique ou économique ; c’est le pouvoir du maître sur son serviteur, du père sur son fils.

Le pouvoir de juridiction consiste dans la faculté de réserver des cas, de contraindre par l’excommunication et autres censures ecclésiastiques, et de poser certains autres actes qui sont propres aux évêques. Mais il est évident que ce pouvoir n’est nullement de droit divin, car si l’état religieux est d’institution divine et doit toujours durer dans l’Église, il n’est nullement dans son essence que le pouvoir des clefs réside dans les supérieurs réguliers. En d’autres termes, le pouvoir dominatif pourrait exister chez les abbés et autres prélats réguliers sans le pouvoir de juridiction.

 

L’état religieux peut parfaitement exister avec le seul pouvoir dominatif, comme il résulte des monastères de moniales. Les moniales, en effet, n’ont aucune juridiction spirituelle ; comme femmes elles en sont incapables, au moins de droit ecclésiastique. Voir Suarez, De statu religionis, tr. VII, l. II, c. xciii, n. 8.

 

Quelques-uns ont soutenu autrefois, après Guillaume de Saint-Amour, Jean de Pouilly et Gerson, que les curés étaient de droit divin. Leur opinion eut toujours les faveurs des jansénistes.

 

Dans la bulle Auctorem fidei, Pie VI condamna les divagations du synode de Pistoie qui renouvelaient, sous une forme nouvelle, des erreurs déjà anciennes :

« La doctrine qui prétend que la réforme des abus touchant à la discipline ecclésiastique en synode diocésain dépend également de l’évêque et des curés, et doit être également assurée par eux, que, dès lors, s’il manque aux curés la liberté de décision, ils n’ont pas besoin de se soumettre aux suggestions et aux ordres des évêques — cette doctrine est fausse, téméraire, lèse l’autorité épiscopale, est subversive de la hiérarchie et favorise l’hérésie d’Aérius renouvelée par Calvin. » n.9.

 

« De même la doctrine suivant laquelle les curés et les autres prêtres assemblés en synode prononcent, avec l’évêque, en juges de la foi, et qui insinue que ce pouvoir de juger en matière de foi appartient à ces personnes en droit propre, du fait même de l’ordination, cette doctrine, est fausse, téméraire, subversive de l’ordre hiérarchique, elle enlève de leur rigueur aux définitions et jugements dogmatiques de l’Église, elle est à tout le moins erronée. » N. 10. Denzinger-Bannwart, n. 1509, 1510.

 

Le curé est un prêtre (ou une personne morale) auquel une paroisse a été confiée en titre avec charge d’âmes à exercer sous l’autorité de l’ordinaire du lieu.

« Parochus est sacerdos vel persona moralis cui paroecia collata est in titulum cum cura animarum, sub Ordinarii loci auctoritate exercenda. » Cod., can. 451.

La charge paroissiale n’est que d’institution ecclésiastique. De droit divin, l’évêque seul est chargé de gouverner dans un diocèse particulier ; tous les autres qui participent à son administration ne sont que ses auxiliaires, auxiliaires qui, à ne considérer que cette unique relation, peuvent être constitués et changés par lui suivant qu’il le juge à propos.

 

« Muneris parochialis origo, dit Sanguinetti, neque ex jure divino et immediata Christi institutione, neque ex institutione apostolica est repetenda, sed duntaxat ex ecclesiastica institutione. Si enim recte loqui velimus, unicus in dioecesi particulari divinitus constitutus praeses est episcopus. Hinc reliqui omnes, si qui sint, nonnisi ejus sunt administri ; qui spectata hac solum relatione, ab eo prout judicat constituuntur et amoventur. »

« L’origine de la charge paroissiale, selon Sanguinetti, ne doit être recherchée ni dans le droit divin et l’institution immédiate du Christ, ni dans l’institution apostolique, mais uniquement dans l’institution ecclésiastique. Car, si nous voulons parler correctement, le seul président divinement constitué dans un diocèse particulier est l’évêque. Ainsi, tous les autres, s’il y en a, ne sont que ses auxiliaires ; en considération de cette seule relation, ils sont constitués et révoqués par lui selon son jugement. ») (Juris Ecclesiastici institutiones, p. 301.

 

Il va de soi que les diverses lois ecclésiastiques ont pu apporter à ce point de vue des restrictions d’ordre différent aux pouvoirs des évêques sur les curés.

 

Dans la paroisse qui lui a été confiée, le curé a juridiction ordinaire, mais seulement au for interne ; il ne jouit, au for externe, d’aucune juridiction proprement dite. L’objet de sa charge, en dehors de l’administration des sacrements, n’est point un gouvernement public, mais simplement domestique ; il ne conduit pas sa paroisse comme un État mais comme une famille, et il ne possède, même au point de vue ecclésiastique, aucun pouvoir législatif, judiciaire et coercitif.

 

Les auteurs du droit canonique, et surtout le Code récent, donnent le détail des droits et des devoirs du curé, et énumèrent toutes les fonctions qui lui sont réservées. Cod., can. 460-470 ; Sanguinetti, op. cit., p. 302-304 ; Bargilliat, Praelectiones juris canonici, t. ii, p. 16-108.

 

Le pape et les évêques unis au pape appartiennent donc seuls à la hiérarchie de juridiction qui est d’institution divine dans l’Église.

 

Tous les autres degrés de cette hiérarchie sont d’institution ecclésiastique. Ils sont constitués par des personnages ou des corps ecclésiastiques, ayant reçu des souverains pontifes, au cours des siècles, pouvoir juridictionnel en vue du gouvernement de l’Église. C’est ce que le Code résume bien en ces quelques lignes :

« Ex divina institutione sacra hierarchia ratione Ordinis constat episcopis, presbyteris et ministris ; ratione jurisdictionis, pontificatu supremo et episcopatu subordinato ; ex Ecclesiae autem institutione alii quoque gradus accessere. » Can. 108, § 3.

 

 

VII. La juridiction de suppléance

 

  1. 1.Définition et fondements

 

La juridiction de suppléance, prévue par le canon 209 du « Code de 1917 », stipule : « En cas d’erreur commune ou de doute positif et probable, l’Église supplée la juridiction. » Ce mécanisme exceptionnel garantit le salut des âmes lorsque la juridiction ordinaire est compromise, par exemple en temps de crise.

– « Fondement théologique » : Saint Thomas d’Aquin (« Somme théologique », Supplément, q. 8, a. 6) soutient que l’Église supplée ce qui manque pour le bien spirituel des fidèles.

– « Principe pastoral » : Saint Alphonse de Liguori (« Theologia Moralis », VI, n. 561) ajoute que l’Église préfère risquer une irrégularité que priver une âme de la grâce.

 

  1. 2.Mécanisme et conditions de la juridiction de suppléance

 

La juridiction de suppléance, telle que codifiée dans le canon 209 du « Code de droit canonique » de 1917, constitue un mécanisme exceptionnel au sein de l’Église catholique, conçu pour pallier les lacunes de la juridiction ordinaire ou déléguée dans des circonstances spécifiques. Ce canon dispose : « En cas d’erreur commune ou de doute positif et probable, soit de droit, soit de fait, l’Église supplée la juridiction pour le for externe et interne. » Ce principe, bien que formulé de manière concise, repose sur une riche tradition théologique et juridique visant à garantir la validité des actes sacramentels et à préserver le salut des âmes, même en l’absence d’une autorité formellement constituée. La suppléance s’applique dans deux cas distincts : l’ »erreur commune » et le « doute positif et probable ». Elle opère de manière automatique, selon le concept théologique d’ »ex opere operantis Ecclesiae », sans nécessiter une intervention explicite de l’autorité ecclésiastique. Afin de comprendre pleinement ce mécanisme, nous allons explorer ces conditions en profondeur, en les détaillant avec des explications, des exemples concrets, des distinctions subtiles et des références historiques et théologiques.

 

2.1 L’erreur commune : une croyance générale erronée

 

L’ »erreur commune » désigne une situation dans laquelle une communauté entière, ou une portion significative de celle-ci, attribue à tort une juridiction à un clerc qui, en réalité, n’en dispose pas. Cette condition ne repose pas sur une simple méprise individuelle, mais sur une perception collective erronée, fondée sur des apparences raisonnables et objectives.

 

2.1.1 Définition et caractéristiques de l’erreur commune

 

Selon le canoniste Félix Cappello, dans son « Tractatus Canonico-Moralis de Sacramentis » (1930), l’erreur commune se caractérise par une erreur qui affecte une communauté entière ou une partie substantielle de celle-ci, de sorte que le défaut de juridiction n’est pas connu ou est ignoré par la majorité. Elle doit remplir plusieurs critères essentiels :

– « Généralité » : L’erreur doit être partagée par une collectivité significative, et non par quelques individus isolés. Par exemple, une paroisse entière doit croire qu’un prêtre est son curé légitime pour que l’erreur soit qualifiée de « commune ».

– « Objectivité » : Elle doit découler de signes extérieurs plausibles, comme une nomination publique erronée, une annonce officielle ou une apparence d’autorité. Le cardinal Alfredo Ottaviani, dans ses commentaires sur le « Code » (1950), précise que l’erreur doit être telle qu’un homme prudent et diligent pourrait la commettre sans faute de sa part.

– « Ignorance réelle » : Les fidèles ne doivent pas savoir que le clerc manque de juridiction. Si le prêtre agit de manière à entretenir cette croyance (sans nécessairement tromper intentionnellement), et que les apparences le présentent comme légitime, l’erreur commune peut être invoquée.

 

2.1.2 Illustration par un exemple concret

 

Prenons le cas hypothétique d’un prêtre envoyé dans une paroisse à la suite d’une erreur administrative : l’évêque n’a pas signé la lettre de nomination officielle, mais une annonce publique a été faite, informant les fidèles de l’arrivée de leur «nouveau curé». La communauté, forte de cette annonce et des actes pastoraux du prêtre (célébration de la messe, confessions, etc.), le considère comme légitimement investi de la juridiction. Bien que ce prêtre ne possède pas la juridiction ordinaire ou déléguée, l’Église supplée cette autorité en raison de l’erreur commune. Ainsi, ses absolutions en confession ou ses assistances aux mariages sont valides, préservant les fidèles de toute incertitude sur la légitimité des sacrements reçus.

 

Un exemple historique peut également éclairer cette notion. Sous le pontificat de Pie IX, dans certaines régions rurales ou isolées, des prêtres ont exercé leur ministère sans juridiction formelle en raison de communications interrompues avec leur évêque ou avec Rome. Les fidèles, ignorant ce défaut et percevant ces prêtres comme leurs pasteurs légitimes, ont bénéficié de la suppléance. Le canoniste Wernz-Vidal, dans « Ius Canonicum » (1928), note à ce sujet que dans ces cas, la suppléance agit comme une sauvegarde, garantissant la validité des sacrements et la tranquillité des consciences.

 

2.1.3 Distinction avec l’erreur individuelle

 

Il est fondamental de différencier l’erreur commune de l’erreur individuelle. Si un fidèle, par ignorance personnelle, croit qu’un prêtre sans juridiction est autorisé à confesser, cela ne suffit pas pour activer la suppléance. Le cardinal Louis Billot, dans « De Ecclesia Christi » (1927), souligne que la suppléance ne s’applique pas aux cas où l’erreur est purement subjective ou limitée à quelques personnes ; elle exige une perception générale erronée. Ainsi, l’erreur doit transcender l’individu pour atteindre une échelle communautaire, rendant la suppléance pertinente et justifiée.

 

2.1.4 Limites de l’erreur commune

 

L’erreur commune ne peut être invoquée en cas de mauvaise foi ou de tromperie délibérée. Si un prêtre usurpe sciemment une autorité qu’il sait ne pas posséder, et que les fidèles le croient légitime, la suppléance pourrait théoriquement s’appliquer pour protéger les sacrements reçus par les fidèles innocents. Cependant, le prêtre lui-même encourt une faute grave. Cette nuance reflète l’équilibre entre la miséricorde envers les fidèles et la rigueur envers les clercs, un principe cher à la théologie catholique.

 

2.2 Le doute positif et probable : une incertitude raisonnable sur l’autorité

 

Une seconde condition pour la suppléance est le « doute positif et probable », qui intervient lorsqu’une incertitude sérieuse et raisonnable existe quant à la juridiction d’un clerc. Ce doute peut porter sur le droit (« dubium juris ») ou sur les faits (« dubium facti »), mais il doit reposer sur des motifs objectifs et non sur une simple conjecture.

 

2.2.1 Définition et nature du doute positif et probable

 

Félix Cappello définit le doute positif et probable comme une incertitude qui repose sur des raisons sérieuses et objectives, de sorte qu’un homme prudent hésiterait à agir sans clarification. Ce doute se distingue par deux aspects :

– « Positif » : Il est basé sur des motifs réels et concrets, et non sur une absence totale d’information.

– « Probable » : Il existe une vraisemblance raisonnable que la juridiction soit présente ou absente, sans certitude définitive.

 

Le doute peut être :

– « De droit » : Lorsqu’une loi canonique est ambiguë ou sujette à interprétation. Par exemple, une délégation implicite dans une situation exceptionnelle peut prêter à confusion.

– « De fait » : Lorsqu’il y a une incertitude sur la situation réelle du clerc, comme une nomination non confirmée ou une délégation non documentée.

 

Le cardinal Ottaviani explique que le doute doit être positif, c’est-à-dire étayé par des raisons tangibles, et probables, c’est-à-dire qu’il doit y avoir un équilibre raisonnable entre les arguments pour et contre la juridiction. »

 

2.2.2 Illustration par un exemple concret

 

Considérons un prêtre missionnaire envoyé dans une région en guerre, où les communications avec son évêque sont rompues. Il n’a pas reçu de délégation écrite, mais il a été verbalement chargé par son supérieur de desservir une communauté. Dans ce contexte, un doute positif et probable de fait existe : le prêtre et les fidèles peuvent raisonnablement supposer qu’il a la juridiction, sans pouvoir le vérifier avec certitude. L’Église supplée alors cette juridiction, rendant valides ses confessions ou ses bénédictions.

 

Un exemple historique pertinent se trouve dans les actions des aumôniers militaires pendant la Seconde Guerre mondiale sous Pie XII. Dans les zones de combat, ces prêtres ont souvent administré les sacrements sans délégation explicite, en raison des circonstances chaotiques. Le doute sur leur statut juridique, fondé sur des motifs sérieux (instructions orales, urgence pastorale), a permis à la suppléance de valider leurs actes.

 

2.2.3 Distinction avec le doute négatif

 

Le doute positif et probable se distingue du doute négatif, où aucune raison sérieuse ne soutient l’existence de la juridiction. Par exemple, si un prêtre agit sans aucune base pour revendiquer une autorité (ni nomination, ni délégation présumée), la suppléance ne s’applique pas. Adolphe Tanquerey, dans « Synopsis Theologiae Dogmaticae » (1925), insiste que la suppléance ne couvre pas la présomption ou la mauvaise foi ; elle est un secours dans l’incertitude légitime.  Ainsi, le doute doit être raisonnable et non fantaisiste pour justifier l’intervention de l’Église.

 

2.2.4 Application en période de persécution

 

Les périodes de persécution offrent un terrain fertile pour le doute positif et probable. Par exemple, sous le règne d’Élisabeth Iᵉʳ en Angleterre (XVIe siècle), des prêtres catholiques clandestins ont administré les sacrements sans juridiction formelle, dans un contexte où leur statut était incertain en raison de la rupture avec Rome. Les fidèles, dans l’ignorance ou l’impossibilité de vérifier leur autorité, ont reçu des sacrements valides grâce à la suppléance. Ce cas illustre comment le doute positif peut émerger dans des situations extrêmes, renforçant le rôle pastoral de ce mécanisme.

 

2.3 Le fonctionnement automatique de la suppléance : « ex opere operantis Ecclesiae »

 

La juridiction de suppléance est unique en ce qu’elle opère de manière automatique, sans nécessiter une intervention explicite de l’autorité ecclésiastique. Elle fonctionne selon le principe théologique d’ »ex opere operantis Ecclesiae », c’est-à-dire par l’action implicite de l’Église elle-même, en tant que société surnaturelle guidée par le Saint-Esprit.

 

2.3.1 Explication du concept

 

Le terme « ex opere operantis Ecclesiae » s’inspire de la distinction scolastique entre « ex opere operato » (efficacité des sacrements par l’acte lui-même) et « ex opere operantis » (efficacité dépendant de l’intention de l’agent). Dans le cas de la suppléance, c’est l’Église, en tant qu’institution divine, qui agit pour combler le défaut de juridiction dès que les conditions du canon 209 sont réunies. Félix Cappello explique que l’Église, en vertu de son pouvoir suprême, supplée la juridiction automatiquement, sans que le clerc ou les fidèles aient besoin de le solliciter.  Ce mécanisme reflète la sollicitude de l’Église pour ses membres, garantissant que les sacrements restent accessibles malgré des irrégularités techniques.

 

2.3.2 Implications pratiques

 

Cette automaticité a des conséquences concrètes. Par exemple, si un prêtre confesse un fidèle mourant dans une zone de crise sans juridiction formelle, mais en raison d’une erreur commune ou d’un doute positif, l’absolution est valide instantanément grâce à la suppléance. Ce cas-ci est en plus explicitement réglé dans le Code de Droit Canonique de 1917 qui précise dans le canon 882 que « la confession et l’absolution peuvent être données à toute personne en danger de mort, indépendamment de sa résidence ou de l’appartenance à une paroisse particulière ». Cardinal Ottaviani écrit que la suppléance est un acte de miséricorde divine, opérant à travers l’Église pour le bien des âmes. Elle évite ainsi que les fidèles ne soient pénalisés par des circonstances hors de leur contrôle.

 

2.3.3 Portée dans le for interne et externe

 

La suppléance s’applique tant au « for interne » (sphère de la conscience, comme la confession) qu’au « for externe » (actes publics, comme l’assistance au mariage). Dans le premier cas, elle valide les absolutions ; dans le second, elle légitime les actes officiels. Cette double portée souligne la flexibilité et la profondeur du mécanisme, conçu pour répondre aux besoins pastoraux dans des contextes variés.

 

2.4 Distinctions et nuances essentielles

 

Pour saisir pleinement la juridiction de suppléance, plusieurs distinctions sont nécessaires :

– « Suppléance vs juridiction ordinaire » : La juridiction ordinaire est attachée à une charge permanente (ex. : un évêque diocésain), tandis que la suppléance est temporaire et conditionnelle.

– « Suppléance vs juridiction déléguée » : La délégation provient d’un acte explicite d’une autorité supérieure, alors que la suppléance est implicite et automatique.

– « Limites de la suppléance » : Elle ne s’applique pas en cas de mauvaise foi avérée ou de défi délibéré à l’autorité ecclésiastique. Cappello précise que la suppléance n’est pas un pouvoir personnel du clerc ; elle est un secours de l’Église, limité aux cas prévus par le canon 209.

 

2.5 Exemples historiques et cas pratiques

 

Les exemples suivants illustrent l’application concrète de la suppléance :

  1. « Prêtres clandestins sous Élisabeth Iᵉʳ » : Ces prêtres, agissant dans un contexte de persécution, ont bénéficié de la suppléance en raison de l’erreur commune des fidèles qui les considéraient comme légitimes.
  2. « Aumôniers de la Seconde Guerre mondiale » : Dans les zones de guerre, des prêtres ont exercé leur ministère sans délégation claire, leurs actes étant validés par le doute positif et probable.
  3. « Révolution française » : Les prêtres réfractaires, non assermentés, ont continué à administrer les sacrements dans des conditions où leur autorité était incertaine, la suppléance assurant la validité de leurs actes.

 

Ces cas montrent comment la suppléance a soutenu la vie sacramentelle dans des périodes troublées.

 

2.6 Implications théologiques et pastorales

 

La suppléance incarne le principe « salus animarum suprema lex » (le salut des âmes est la loi suprême). Elle reflète la miséricorde divine en priorisant l’accès aux sacrements sur les formalités juridiques, tout en préservant l’unité et la continuité de l’Église. Saint Alphonse de Liguori (« Theologia Moralis », VI) conclut que la suppléance est une mesure d’exception, témoignant de la sagesse de l’Église dans sa mission salvifique.

 

En somme, le mécanisme de la juridiction de suppléance, avec ses conditions d’erreur commune et de doute positif et probable, et son fonctionnement automatique « ex opere operantis Ecclesiae », est une illustration remarquable de l’équilibre entre rigueur et miséricorde dans la tradition catholique pré-1962.

 

Trois Implications théologiques

 

– « Miséricorde divine » : La suppléance reflète la priorité donnée au salut sur la rigueur juridique.

– « Unité de l’Église » : Elle assure la continuité des sacrements en période de crise.

– « Limites » : Elle ne s’applique pas en cas de mauvaise foi ou de défi délibéré à l’autorité.

 

VIII. Conclusion

 

La juridiction dans l’Église catholique avant 1962, ancrée dans les Écritures, codifiée par le « Code de 1917 » et enrichie par l’histoire, témoigne d’une structure hiérarchique robuste et adaptée. La juridiction de suppléance, en particulier, illustre la sollicitude pastorale de l’Église.

 

Nous consacrons un autre chapitre entièrement à la juridiction de suppléance en temps extraordinaires de vacance du Siège de Rome pendant plus de 60 ans. Deo gratias.

 

 

Sources

 

Le sujet rentrant à la fois dans la théologie et le droit canonique, il convient de consulter les auteurs traitant de ces deux disciplines.

 

  1. Théologiens : D. Palmieri, Tractatus de romano pontifice, Rome, 1891 ; Franzelin, Thèses de Ecclesia Christi, Rome, 1907 ; Billot, Tractatus de Ecclesia, Rome, 1903 ; C. Pesch, Praelectiones dogmaticae, Fribourg-en-Brisgau, t. I, 1909 ; G. Wilmers, De Christi Ecclesia, Ratisbonne, 1907.

D.T.C. article « juridiction ».

 

  1. Canonistes : tout d’abord les recueils officiels : Corpus juris canonici et Codex Juris canonici et les commentateurs anciens et modernes. Relevons parmi ceux-ci : D. Bouix, Tractatus de principiis juris canonici, Paris, 1862 ; Soglia, Institutiones juris publici ecclesiastici, Paris, 1879, t. i ; Vering, Droit canon., t. II, Paris, 1881 ; Tarquini, Juris ecclesiastici publici institutiones, Rome, 1890 ; S. Sanguinetti, Juris ecclesiastici institutiones, Rome, 1890 ; B. Ojetti, Synopsis rerum moralium et juris pontificii, Rome, 1899 ; Cavagnis, Institutiones juris publici ecclesiastici, Rome, 1906, t. i ; Wernz, Jus Decretalium, Rome, 1906, t. ii ; Laurentius, Institutiones juris ecclesiastici, Fribourg-en-B., 1914.

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