Première opinion : Dieu ne permettra jamais que le Pape tombe dans l’hérésie
Source principale : « La Nouvelle Messe de Paul VI : qu’en penser ? »
du Prof. Arnaldo Vidigal Xavier da Silveira
Table des matières
- Introduction
- Arguments du Cardinal Billot
- Nuances au sein de cette première opinion
- Arguments contraires à cette première opinion
4.1. Écriture Sainte
4.2. Tradition
4.2.a. Documents relatifs au Pape Honorius
4.2.b. Pendant le pontificat de Pascal II (1099-1118)
4.2.c. De Gratien à nos jours
- Réponse des défenseurs de cette opinion
- Une opinion simplement probable
- Introduction :
Nous adopterons la classification présentée par saint Robert Bellarmin sur le sujet d’un pape hérétique (« De Romano Pontifice »). Voici la première opinion.
Les défenseurs de cette première opinion estiment, sur la base d’arguments rationnels ainsi que des Écritures et de la Tradition, que Notre Seigneur ne permettra jamais qu’aucun successeur de saint Pierre ne vienne à perdre la foi [1].
Le premier défenseur de cette opinion semble avoir été Albert Pighius, un théologien néerlandais du XVIe siècle, dans son ouvrage Hierarchiae Ecclesiasticae Assertio [2].
Depuis lors, de nombreux auteurs ont adopté l’affirmation ou simplement la possibilité de cette position. Les plus significatifs parmi eux, pour l’autorité dont ils jouissent et pour l’attention qu’ils consacrent à la question, sont : Suarez [3], saint Robert Bellarmin [4], le cardinal Billot [5] et le canoniste français du XIXe siècle, D. Bouix [6].
- Voyons comment le Cardinal Billot défend sa position :
“Admettant l’hypothèse que le Pape soit devenu notoirement hérétique, il faut concéder, sans hésitation, qu’il perdrait ipso facto le pouvoir pontifical, puisqu’il se serait, de sa propre volonté, placé hors du corps de l’Église, en devenant incroyant (…)
“J’ai dit : « admettant l’hypothèse ». Mais il semble de loin plus probable que cette hypothèse soit une simple hypothèse, jamais réductible à l’acte, en vertu de ce que dit saint Luc (22, 32) :
« J’ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille pas, et toi, une fois converti, confirme tes frères ».
“Que cela doive être compris de saint Pierre et de tous ses successeurs, c’est ce que la voix de la Tradition atteste, et ce que nous démontrerons ex professo plus tard, en traitant du magistère infaillible du Pontife romain. Pour l’instant, nous considérerons cela comme absolument certain [7].
“Or, bien que ces paroles de l’Évangile se réfèrent principalement au Pontife en tant que personne publique qui enseigne ex cathedra, il faut affirmer qu’elles s’étendent, par une certaine nécessité, également à la personne privée du Pontife en ce qui concerne sa préservation de l’hérésie [8]. En effet, au Pontife a été donnée la fonction ordinaire de confirmer les autres dans la foi. Pour cette raison, le Christ – qui, à cause de sa dignité, est entendu en tout – demande pour lui le don d’une foi indéfectible. Mais en faveur de qui, je le demande, cette prière est-elle faite ? D’une personne abstraite et métaphysique, ou plutôt d’une personne réelle et vivante, à qui il incombe de confirmer les autres ? Ou peut-être appellera-t-on indéfectible dans la foi celui qui ne peut pas errer en établissant ce que les autres doivent croire, mais qui personnellement peut faire naufrage dans la foi ?
“Et – observez – même si le Pontife, tombant dans une hérésie notoire, perdait ipso facto le pontificat, il tomberait cependant logiquement dans l’hérésie avant de perdre sa charge ; cela étant, la défectibilité dans la foi coexisterait avec le devoir de confirmer ses frères, ce que la promesse du Christ semble exclure de manière absolue.
“Plus encore : si, en considérant la providence de Dieu, il ne peut arriver que le Pontife tombe dans une hérésie occulte ou simplement interne, car cela entraînerait des maux concomitants bien pires. Or, l’ordre établi par Dieu exige absolument que, en tant que personne privée, le Souverain Pontife ne puisse pas être hérétique, même en perdant la foi dans le for interne uniquement.
« Car – écrit saint Robert Bellarmin (De Rom. Pont., lib. IV, c. 6) – le Pontife non seulement ne doit pas et ne peut pas prêcher l’hérésie, mais il doit aussi toujours enseigner la vérité, et sans doute le fera-t-il, étant donné que Notre Seigneur lui a ordonné de confirmer ses frères. Mais comment, je le demande, un Pontife hérétique confirmera-t-il ses frères dans la foi et prêchera-t-il toujours la vraie foi ? Dieu peut, sans doute, arracher d’un cœur hérétique une confession de la vraie foi, comme il a autrefois fait parler l’ânesse de Balaam. Mais cela serait plutôt violent et pas du tout conforme à la manière d’agir de la Providence divine, qui dispose toutes choses avec douceur [9]. ».
“Enfin, si l’hypothèse d’un Pape devenu notoirement hérétique devenait réalité, l’Église serait plongée dans de telles et si nombreuses afflictions qu’on peut déjà percevoir a priori que Dieu ne le permettrait jamais [10]. »
- 3. Nuances au sein de cette première opinion
Parmi les positions adoptées par les défenseurs de cette première opinion, il existe certaines nuances qu’il convient de mettre en relief.
– Il y a ceux qui pensent que cette opinion constitue une vérité de foi. Tel était, par exemple, le point de vue de Matthaeucci, un théologien franciscain décédé en 1722 [11].
– D’autres auteurs, parmi lesquels le cardinal Billot, que nous citons ci-dessus, ne pensent pas que cette opinion constitue une vérité de foi, mais la classent comme étant de loin la plus probable, en diminuant la probabilité des opinions opposées.
– D’autres, enfin, défendent cette position de manière encore moins rigide. C’est le cas de Suarez et de saint Robert Bellarmin. Il ne leur semble pas que le passage de saint Luc (22, 32) soit décisif, tout en estimant que certains documents de la Tradition, qui admettent l’hypothèse d’un Pape hérétique, ont une valeur supérieure à celle que leur attribue, par exemple, le cardinal Billot.
Nous pouvons voir que même le ton de l’argumentation de Suarez diffère de celui que nous pouvons noter dans le passage cité du cardinal Billot :
« Bien que beaucoup [12] puissent soutenir, avec vraisemblance, que le Pape peut tomber dans l’hérésie, il me semble cependant, en quelques mots, plus pieux et plus probable d’affirmer que le Pape, en tant que personne privée, peut errer par ignorance mais non de manière contumace. Car, bien que Dieu puisse empêcher un Pape hérétique de causer des dommages à l’Église, la manière la plus douce d’agir de la Providence serait que, ayant promis que le Pape n’errerait jamais en définissant, Dieu, par conséquent, pourvoirait à ce qu’il ne devienne jamais hérétique. De plus, il faut considérer que ce qui jusqu’à présent n’est jamais arrivé dans l’Église, par l’ordre et la providence de Dieu, ne peut pas arriver » [13].
- 4. Arguments contraires à cette opinion
Contre cette première opinion, on peut objecter, d’une part, que le passage cité de saint Luc (22, 32) n’est généralement appliqué qu’aux enseignements pontificaux impliquant l’infaillibilité ; et, d’autre part, qu’il existe de nombreux témoignages de la Tradition en faveur de la possibilité d’une hérésie dans la personne du Pape.
4.1. Écriture Sainte
Quant au sens exact du texte de saint Luc, de nombreux théologiens soutiennent en effet que, pour l’accomplissement de la promesse de Notre Seigneur, il suffit qu’il n’y ait pas d’erreurs dans les documents infaillibles. Ainsi, ils concluent qu’il n’y a pas de raison suffisante pour juger que « la confirmation des frères » postule également l’indéfectibilité de la foi du Pape en tant que personne privée.
Note de la rédaction : Notre Seigneur Jésus-Christ a donc prié pour que St Pierre reçoive le charisme de l’infaillibilité ex cathedra et du magistère universel ordinaire, qui tous les deux sont conditionnels : soumis à des conditions bien définies par le Premier Concile du Vatican.
Voyons, par exemple, comment Palmieri [14] expose cet argument :
« (…) il n’est pas nécessaire que la foi indéfectible soit en réalité distincte de la confirmation des frères, mais il suffit qu’elle soit distinguée par la raison. Car si la prédication authentique et solennelle de la foi est infaillible, il peut confirmer les frères ; pour cette raison, la foi infaillible et celle qui confirme sont une et unique ; étant infaillible, elle jouit également du pouvoir de confirmer les frères. L’indéfectibilité du Pontife dans la foi a été demandée pour qu’il puisse confirmer ses frères ; par conséquent, des paroles du Christ, on ne peut inférer comme nécessaire que l’indéfectibilité qui est indispensable et suffisante pour atteindre cet objectif ; et telle est l’infaillibilité de la prédication authentique [15]. »
4.2. Tradition
Nous indiquons ici quelques documents de la Tradition qui admettent la possibilité que le Pape tombe dans l’hérésie.
4.2.a. Documents relatifs au Pape Honorius
Il n’existe pas de preuves historiques qui permettent d’affirmer que le Pape Honorius Ier ait été hérétique ; il est cependant certain que ses lettres au Patriarche Sergius favorisaient l’hérésie monothélite, selon laquelle il n’y a qu’une seule volonté (physique) en Notre Seigneur Jésus-Christ: sa volonté divine. N’ayant pas de volonté humaine, Jésus n’aurait pas d’âme humaine, donc ne serait pas homme. C’est une variante de l’arianisme.
Puisqu’il s’agit du favoritisme de l’hérésie par un Pape, et non de l’hérésie en tant que telle, le cas d’Honorius ne se rapporte pas directement à notre sujet. En effet le pape Honorius en acceptant la formule « il n’y a qu’une seule volonté en Notre Seigneur Jésus-Christ » voulut dire qu’Il n’avait qu’une seule volonté morale, sa volonté humaine étant toujours soumise et à l’unisson avec sa divine. Mais cette distinction si importante était omise dans sa formulation vague : « il n’y a qu’une seule volonté en Notre Seigneur » pour ne pas causer des vagues en espérant que l’hérésie s’éteindrait toute seule avec le temps passant, craignant des persécutions s’il y aurait eu trop de sévérité. Mais non, au contraire les hérétiques ont profité de l’occasion pour répandre leur erreur dans l’empire en abusant du texte papal qui semblait avaliser leur erreur. Le pape avait pris une mauvaise décision et par l’ambiguïté de sa formulation il avait favorisé l’hérésie.
Cependant, il est important pour nous d’observer que ce cas, peut-être plus que d’autres cas analogues enregistrés par l’histoire, a fourni une occasion aux Papes, aux Conciles, aux Saints, aux évêques et aux théologiens de manifester leur conviction que l’hypothèse d’un Pape hérétique n’était pas théologiquement absurde, mais ils ont bien examiné la formulation du pape pour vérifier son orthodoxie ou hérésie éventuelle.
En effet, nous présentons ci-dessous des documents qui admettent directement la possibilité d’un Pontife hérétique, ainsi que d’autres qui ne l’admettent qu’indirectement. Dans ce second groupe se trouvent, par exemple, les documents qui montrent que l’orthodoxie du Pape a été positivement soupçonnée. Comme il est évident, un tel soupçon serait vain et absurde pour celui qui croirait impossible la défection du Pontife romain dans la foi. Les accusations de favoritisme de l’hérésie sont également incluses dans ce second groupe, lorsque, par les termes dans lesquels elles sont formulées ou par d’autres circonstances, il devient probable qu’en réalité il y avait au moins un soupçon positif que le Pape était hérétique.
Le IIIe Concile de Constantinople, le VIe œcuménique, déclare qu’il a analysé les épîtres dogmatiques du Patriarche Sergius, ainsi qu’une lettre écrite par Honorius Ier au même patriarche.
Et il continue : « ayant vérifié qu’elles sont en totale contradiction avec les dogmes apostoliques et les définitions des saints Conciles, et de tous les Pères dignes d’approbation, et qu’au contraire elles suivent les fausses doctrines des hérétiques, nous les rejetons absolument et les exécrons comme nuisibles aux âmes » [16].
Après avoir anathématisé les principaux hérésiarques monothélites [17], le Concile condamne Honorius :
« Nous jugeons que, avec eux, Honorius, autrefois Pape de Rome, a été expulsé de la Sainte et Catholique Église de Dieu et anathématisé, car nous avons vérifié par son écrit envoyé à Sergius qu’il a suivi la pensée de ce dernier en tout et a confirmé ses principes impies » [18].
En condamnant Honorius comme favorisant l’hérésie, le Pape saint Léon II (+683) a écrit :
« Nous anathématisons également les inventeurs de la nouvelle erreur : Théodore, évêque de Pharan, Cyrus d’Alexandrie, Sergius, Pyrrhus (…) et aussi Honorius, qui n’a pas éclairé cette Église apostolique avec la doctrine de la tradition apostolique, mais a permis, par une trahison sacrilège, que la foi immaculée soit souillée » [19].
Dans une lettre aux évêques d’Espagne, le même saint Léon II déclare qu’Honorius a été condamné parce que « (…) il n’a pas éteint, comme il convenait à son autorité apostolique, la flamme naissante de l’hérésie, mais l’a attisée par sa négligence » [20].
Et dans une lettre à Erwig, roi d’Espagne, saint Léon II répète que, avec les hérésiarques mentionnés, a été condamné « (…) Honorius de Rome, qui a consenti à ce que la foi immaculée de la tradition apostolique qu’il avait reçue de ses prédécesseurs soit souillée » [21].
Également à propos du cas du Pape Honorius, R. Baeumer écrit :
« Par la suite, cette condamnation (d’Honorius, par le VIe Concile œcuménique) a été renouvelée par les Synodes « in Trullo » de 692 (Mansi, 11, 938), par le septième Concile général (Mansi, 13, 377) et par le huitième (Mansi, 16, 181). Léon II, qui a accepté la décision du sixième Concile général, a atténué la faute d’Honorius (…). Le récit de la condamnation d’Honorius est même entré dans le Liber Diurnus. Chaque Pape nouvellement élu devait condamner les auteurs de la nouvelle hérésie, « avec Honorius, qui a favorisé leurs erreurs ». Le Liber Pontificalis et le Bréviaire romain mentionnaient la condamnation, dans le second nocturne de la fête du Pape saint Léon II (…) » [22].
Par conséquent, l’affirmation de V. Mondello, selon laquelle une tradition déjà solide au VIIIe siècle disait qu’« un Pape hérétique peut être jugé par un Concile » [23] avait une base historique complète.
Parmi les documents relatifs au cas du Pape Honorius, peut-être aucun n’a une telle importance pour notre thème que le passage cité ci-dessous, extrait d’un discours du Pape Adrien II au VIIIe Concile œcuménique. Comme nous le verrons, quel que soit le jugement porté sur le cas d’Honorius Ier, nous avons ici une déclaration pontificale qui admet l’éventualité qu’un Pape tombe dans l’hérésie [24]. Voici les paroles d’Adrien II, prononcées dans la seconde moitié du IXe siècle, c’est-à-dire plus de deux siècles après la mort d’Honorius :
« Nous lisons que le Pontife romain a toujours jugé les chefs de toutes les églises (c’est-à-dire les patriarches et les évêques) ; mais nous ne lisons pas que quiconque l’ait jamais jugé. Il est vrai qu’après sa mort, Honorius a été anathématisé par les Orientaux ; mais il faut se rappeler qu’il a été accusé d’hérésie, le seul crime qui rend légitime la résistance des inférieurs aux supérieurs, ainsi que le rejet de leurs doctrines pernicieuses » [25].
Pour être complet et juste faut-il encore remarquer que le Pape Honorius n’a été accusé d’hérésie que par un concile (le IIIe de Constantinople) et seulement par sa partie (des actes du concile) qui n’a pas été confirmée par un pape. Quelques papes par contre ont accusé le pape Honorius que de favoriser l’hérésie (de “semi-hérésie”). Nous allons voir (dans le chapitre sur la 5e opinion de St Bellarmin) que la papauté n’est perdue que par une hérésie publique. C’est pourquoi Honorius n’a jamais été considéré avoir perdu son office de pape par hérésie, quoiqu’il soit donc clairement condamné plusieurs fois pour favoritisme d’hérésie (“semi-hérésie”).
4.2.b. Pendant le pontificat de Pascal II (1099-1118)
La question des investitures a de nouveau secoué la chrétienté. L’empereur Henri V, tenant le Pape prisonnier, lui a extorqué des concessions et des promesses irréconciliables avec la doctrine catholique. Ayant recouvré sa liberté, Pascal II a longtemps hésité à rétracter les actes qu’il avait accomplis sous la contrainte. Malgré les admonestations répétées des Saints, des cardinaux et des évêques, sa rétractation et l’excommunication espérée de l’empereur étaient toujours reportées par lui. Alors commença à s’élever dans toute l’Église un murmure contre le Pape, le qualifiant de suspect d’hérésie et l’adjurant de se rétracter sous peine de perdre le pontificat.
Nous citons ici quelques faits et documents de la lutte que les Saints, les cardinaux et les évêques ont menée contre Pascal II. On verra ainsi que la théologie de l’époque admettait l’hypothèse d’un Pape hérétique et jugeait que, en raison d’un tel péché, il perdrait le pontificat [26].
Saint Bruno, évêque de Segni et abbé de Monte Cassino, était à la tête du mouvement opposé à Pascal II en Italie. Nous ne possédons aucun document dans lequel il ait déclaré de manière indiscutable qu’il jugeait le Pape suspect d’hérésie. Néanmoins, c’est l’accusation que ses lettres et ses actes insinuaient sans équivoque.
À Pascal II, il écrivit : « (…) Je vous estime comme mon père et seigneur (…). Je dois vous aimer ; néanmoins, je dois aimer encore plus Celui qui vous a créé et moi. (…) Je ne loue pas le pacte (signé par le Pape), si horrible, si violent, conclu si traîtreusement et si contraire à toute piété et religion. (…) Nous avons les Canons ; nous avons les constitutions des Pères, depuis l’époque des Apôtres jusqu’à vous. (…) Les Apôtres ont condamné et expulsé de la communion des fidèles tous ceux qui obtenaient des charges dans l’Église par le pouvoir séculier. (…) Cette détermination des Apôtres (…) est sainte, est catholique, et quiconque la contredirait n’est pas catholique. Car seuls sont catholiques ceux qui ne s’opposent pas à la foi et à la doctrine de l’Église catholique, et, au contraire, ils sont hérétiques ceux qui s’opposent obstinément à la foi et à la doctrine de l’Église catholique. (…) » [27].
Dans une autre lettre, saint Bruno souligne qu’il ne considérait comme hérétiques que ceux qui nient les principes catholiques sur la question des investitures, et non ceux qui, dans l’ordre concret, pressés par les circonstances, agissent d’une manière non conforme à la vraie doctrine [28]. Cependant, cette réserve n’est pas suffisante pour exempter Pascal II du soupçon d’hérésie, car il refusait, même après la cessation de la contrainte, de corriger le mal fait.
Le Pape savait très bien que saint Bruno n’écartait pas l’hypothèse de le déclarer déchu, car il résolut de destituer le saint de la charge influente d’abbé de Monte Cassino sur la base de l’allégation suivante :
« Si je ne l’écarte pas du gouvernement du monastère, il m’enlèvera, avec ses arguments, le gouvernement de l’Église » [29].
Et lorsque, enfin, le Pape se rétracta, devant le synode convoqué à Rome pour examiner la question, saint Bruno de Segni s’exclama :
« Que Dieu soit loué ! Car voici que le Pape lui-même a condamné ce prétendu privilège (d’investiture par le pouvoir temporel), qui est hérétique » [30].
Avec cette phrase, saint Bruno laissa entendre publiquement, pour la première fois, à quel point il soupçonnait l’orthodoxie de Pascal II. À cela, ses ennemis protestèrent énergiquement ; le plus éminent d’entre eux était l’abbé de Cluny, Jean de Gaète, « qui – lisons-nous dans Hefele-Leclercq – ne voulait pas permettre que le Pape soit accusé d’hérésie » [31].
Saint Bruno de Segni n’était pas le seul saint de l’époque qui admettait la possibilité d’une hérésie chez Pascal II.
En 1112, l’archevêque Guido de Vienne, futur Pape Calixte II, convoqua un synode provincial, auquel participèrent, entre autres évêques, saint Hugues de Grenoble et saint Godefroy d’Amiens. Avec l’approbation de ces deux saints, le synode révoqua les décrets extorqués par l’empereur au Pape et envoya à ce dernier une lettre dans laquelle nous lisons :
« Si, comme nous ne l’attendons absolument pas, vous choisissez une autre voie et refusez de confirmer les décisions de notre autorité, que Dieu nous aide, car ainsi vous nous sépareriez de l’obéissance envers vous » [32].
Ces mots contiennent une menace de rupture avec Pascal II, explicable uniquement par le fait que dans l’esprit des évêques réunis à Vienne, trois notions étaient unies :
premièrement, ils étaient convaincus qu’il constituait une hérésie de nier la doctrine de l’Église sur les investitures ;
deuxièmement, ils soupçonnaient que le Pape avait embrassé cette hérésie ;
et troisièmement, ils considéraient qu’un Pape, dans l’éventualité d’être hérétique, perdrait sa charge, et ne devrait donc plus être obéi [33].
Cette interprétation est confirmée, de manière à éliminer tout doute, par les lettres écrites à cette occasion par saint Yves de Chartres, auxquelles nous faisons allusion ci-après.
Après avoir relaté les événements du synode de Vienne, Hefele-Leclercq écrit :
« Le résultat fut que, le 20 octobre de cette même année, le Pape confirma, dans une brève lettre et en termes vagues, les décisions prises à Vienne, et loua le zèle de Guido. C’est la peur d’un schisme qui conduisit le Pape à adopter cette attitude » [34].
Pour discréditer ce synode provincial de Vienne, on pourrait arguer qu’un autre saint, l’évêque Yves de Chartres, refusa d’y participer, alléguant que personne ne pouvait juger le Pape [35].
Nous n’avons pas l’intention ici d’étudier l’histoire du synode de Vienne. Nous le citons uniquement pour montrer que, à l’époque, deux saints et un futur Pape adoptèrent une attitude envers Pascal II basée sur les principes qu’il pouvait y avoir un Pape hérétique, et que dans un tel cas, le Pontife perdrait sa charge. Par conséquent, c’est uniquement sous cet angle que nous analyserons la position de saint Yves de Chartres.
Il était également opposé aux concessions faites par Pascal II à l’empereur. Il disait que le Pape devait être averti et exhorté par les évêques afin qu’il répare le mal fait. Il était cependant en désaccord avec le synode de Vienne, car il ne considérait pas que l’attitude du Pape dans la question des investitures impliquait une hérésie [36]. Il affirmait, par conséquent, que Pascal II ne pouvait pas être soumis au jugement des hommes, quelle que soit la gravité de ses faiblesses. Pourtant, saint Yves reconnaissait explicitement dans sa lettre, qui constitue pour nous un témoignage important sur la possibilité de la défection du Pape dans la foi, que le Pontife, dans l’éventualité d’être hérétique, perdrait sa charge. Voici ses paroles :
« (…) nous ne voulons pas priver les clés principales de l’Église (c’est-à-dire le Pape) de leur pouvoir, quelle que soit la personne placée sur le Siège de Pierre, sauf si elle s’écarte manifestement de la vérité évangélique » [37].
Par conséquent, l’attitude adoptée par saint Yves de Chartres n’est pas opposée, du point de vue qui nous concerne à ce moment, à celle de saint Godefroy d’Amiens et de saint Hugues de Grenoble, mais au contraire, elle la corrobore [38].
4.2.c. De Gratien à nos jours
Dans le Decretum de Gratien apparaît le canon suivant, attribué à saint Boniface le martyr :
« Qu’aucun mortel n’ait la présomption d’accuser le Pape d’une faute, car, étant chargé de juger tous, il ne doit être jugé par personne, sauf s’il s’écarte de la foi » [39].
Dans le Dictionnaire de Théologie Catholique, Dublanchy fournit quelques données expressives sur l’influence de ce canon dans la fixation de la pensée médiévale à l’égard de la question d’un Pape hérétique :
« On trouve dans le Decretum de Gratien cette affirmation attribuée à saint Boniface, archevêque de Mayence, et déjà citée comme telle par le cardinal Deusdedit (+1087) et par saint Yves de Chartres, Decretum, V, 23 (…).
Après Gratien, cette même doctrine se retrouve même parmi les partisans les plus convaincus des privilèges pontificaux. Innocent III y fait référence dans l’un de ses sermons. (…) En général, les grands théologiens scolastiques n’ont pas prêté attention à cette hypothèse ; mais les canonistes des XIIe et XIIIe siècles connaissent et commentent le texte de Gratien. Tous admettaient sans difficulté que le Pape pouvait tomber dans l’hérésie, comme dans toute autre faute grave ; ils ne se préoccupaient que d’investiguer pourquoi et dans quelles conditions il pourrait, dans ce cas, être jugé par l’Église » [40].
Un extrait d’un sermon du Pape Innocent III :
« La foi m’est nécessaire à un tel point que, ayant Dieu comme seul juge pour tous les autres péchés, je pourrais cependant être jugé par l’Église pour les péchés que je pourrais commettre en matière de foi » [41].
On comprend alors à quel point V. Mondello avait raison d’écrire :
« Beaucoup au Moyen Âge admettaient qu’un Pape hérétique pouvait être jugé [42] par un Concile ; nous pouvons aller jusqu’à dire que c’était une doctrine très courante à cette époque, même parmi les défenseurs les plus convaincus du Pape » [43].
Pour montrer que la Tradition fournit des raisons de poids contre la première opinion énumérée par saint Robert Bellarmin – selon laquelle un Pape ne pourrait pas devenir hérétique – nous estimons qu’il n’est pas nécessaire ici d’étendre notre investigation aux siècles ultérieurs. En effet, dans les chapitres suivants, nous citerons de nombreux documents des six derniers siècles, de sorte qu’il serait superflu de les indiquer dès maintenant.
- 5. La réponse des défenseurs de cette opinion
De quelles raisons les partisans de cette première opinion se servent-ils pour s’opposer à de tels témoignages de la Tradition, et à tant d’autres qui pourraient être invoqués ?
Certains de ces auteurs, comme saint Robert Bellarmin et Suarez, reconnaissent que de tels documents affaiblissent la thèse de l’impossibilité d’un Pape hérétique.
Cependant, il y en a qui tentent de contester la valeur de ces documents. C’est le cas, par exemple, du cardinal Billot [44]. Il soutient que l’allocution d’Adrien II ne prouve rien, dans la mesure où le Pape Honorius n’était en réalité pas hérétique ; il conteste l’authenticité du canon Si Papa de Gratien ; il ne voit dans les paroles d’Innocent III qu’une hyperbole oratoire.
Quoi qu’il en soit, cependant, le cardinal Billot n’a pas nié – et il n’aurait pas pu nier – que l’Église a toujours laissé ouverte la question de la possibilité d’une hérésie dans la personne du Pape. Or, ce fait, à lui seul, constitue un argument de poids dans l’évaluation de la Tradition. C’est ce que saint Robert Bellarmin met en relief dans le passage suivant, dans lequel il réfute, trois siècles à l’avance, son futur frère dans le cardinalat et dans la glorieuse milice ignatienne :
« À ce sujet, il faut noter que, bien qu’il soit probable qu’Honorius n’ait pas été hérétique, et que le Pape Adrien II, trompé par des documents falsifiés du VIe Concile, ait erré en jugeant Honorius comme hérétique, nous ne pouvons cependant pas nier qu’Adrien, avec le Synode romain et également avec tout le VIIIe Concile général, était d’avis que, en cas d’hérésie, le Pontife romain peut être jugé » [45].
- 6. Une opinion simplement probable
Comme nous l’avons déjà observé dans de brèves notes [46], en général, les partisans de cette première opinion n’hésitent pas à étudier quelle procédure doit être adoptée dans le cas où le Pape tomberait dans l’hérésie. Ils agissent ainsi parce qu’ils ne considèrent pas leur position comme absolument certaine, but reconnaissent que les autres opinions jouissent au moins d’une probabilité extrinsèque. Cela explique le fait, à première vue étrange, que les partisans de cette opinion soient souvent également indiqués comme partisans d’autres opinions.
Voici comment Suarez exprime sa pensée à ce sujet :
« Il semble conforme à la douce Providence de Dieu de ne jamais permettre à celui à qui il n’est jamais permis d’enseigner l’erreur d’errer dans la foi. Par conséquent, on dit que ces deux promesses sont incluses dans ces mots : « J’ai prié pour toi, Pierre, afin que ta foi ne défaille pas ».
Puisque, cependant, cette opinion n’est pas généralement acceptée et que les Conciles généraux ont parfois admis l’hypothèse en discussion (de l’hérésie dans le Pape), en supposant qu’elle soit au moins possible, il faut dire que, s’il devient hérétique, le Pape ne tomberait pas ipso facto de sa dignité, en raison de la perte de la foi, mais (… etc.) » [47].
Et saint Robert Bellarmin écrit :
« (…) il y a cinq opinions sur cette question. La première est celle d’Albert Pighius (Hierarch. Eccles., lib. 4, cap. 8), pour qui le Pape ne peut pas être hérétique et donc ne peut être déchu en aucun cas. Cette opinion est probable et peut être défendue facilement, comme nous le montrerons plus tard en son lieu. Puisque, cependant, elle n’est pas certaine, et puisque L’OPINION COMMUNE EST À L’OPPOSÉ, il est utile d’examiner quelle solution devrait être donnée à cette question, dans l’hypothèse où le Pape pourrait être hérétique » [48].
Sur le même sujet, le passage suivant, d’un éminent théologien contemporain, le père jésuite espagnol Joaquín Salaverri, est également éclairant :
« En tant que personne privée, le Pape peut-il tomber dans l’hérésie ? Les théologiens disputent sur cette question. Pour employer les mots de Suarez, « il semble plus pieux et plus probable » d’admettre que Dieu prendra soin, par sa Providence, « qu’un Pape ne soit jamais hérétique ». Pour cette opinion, soutenue par saint Robert Bellarmin et Suarez, elle fut également louée au Concile Vatican I par l’évêque Zinelli, orateur de la foi, en ces termes :
« Confiants dans la Providence surnaturelle, nous jugeons qu’il est tout à fait probable que cela n’arrivera jamais. Mais Dieu ne manque pas dans les choses nécessaires ; par conséquent, s’il permet un mal aussi grand, les moyens pour y remédier ne manqueront pas » (Conc. Vatic., Mansi 52, 1109) » [49].
Notes :
[1] Comme il est évident, nous ne discutons pas ici de la possibilité que le Pape soit en hérésie matérielle. Personne ne nie que, par erreur ou par inadvertance, le Souverain Pontife puisse tomber dans une hérésie matérielle, en tant que personne privée. En ce qui concerne la possibilité équivalente touchant les documents officiels mais non infaillibles, voir pp. 195 et suivantes.
[2] Lib. IV, C. VIII, Cologne, 1538, fol. CXXXI ss., cité par Dublanchy, article « Infaillibilité du Pape », in Dict. de Théol. Cath., col. 1715.
[3] Voir pp. 147-148, 154-155.
[4] Voir pp. 147, 155.
[5] Texte que nous citons par la suite.
[6] Voir pp. 158-160.
[7] Notez que le cardinal Billot ne qualifie pas d’« absolument certaine » l’idée que le Pape ne peut pas devenir hérétique, mais affirme que le passage des Écritures auquel il est fait allusion se réfère à saint Pierre et à ses successeurs – ce qu’aucun auteur catholique ne peut nier, quel que soit le sens exact de la promesse faite ici par Notre Seigneur.
[8] En général, les auteurs n’admettent pas que le passage de l’Évangile cité doive nécessairement s’appliquer à la personne du Pape dans ses déclarations qui ne sont pas ex cathedra. C’est ce que nous montrons plus loin (p. 148) en citant Palmieri, Van Leak, Straub, Dublanchy.
[9] Pour les raisons exposées plus loin (en particulier celles mentionnées aux pages 148 et suivantes, ainsi qu’à la page 172), il ne nous semble pas que l’argument présenté ici par saint Robert Bellarmin ou par le cardinal Billot démontre la thèse qu’ils soutiennent comme étant la plus probable. Il demeure néanmoins dans cet argument un fond indéniablement vrai : la Providence ne pourrait permettre que l’adhésion du Pape à l’hérésie soit quelque chose de fréquent et, pour ainsi dire, habituel. Au contraire, une telle chose ne pourrait être admise que comme exceptionnelle, caractérisant l’une des épreuves les plus dramatiques et profondes auxquelles l’Église militante puisse être soumise.
En prenant l’exemple même de la mule de Balaam donné par saint Robert Bellarmin et par d’autres partisans de cette première opinion, nous dirions que la Providence n’aurait pas à permettre que les mules parlent normalement et fréquemment, mais qu’une seule mule, celle de Balaam, a parlé.
[10] Billot, Tractatus de Ecclesia Christi, 1909, tomus I, pp. 609-610.
Ce dernier argument présenté par le cardinal Billot ne nous semble pas non plus concluant. Notre Seigneur, qui a permis que la malice des hommes porte atteinte à sa propre Personne, au point de Le conduire à mourir sur la croix, ne pourrait-Il pas permettre que l’ingratitude et la malice des hommes soumettent la Sainte Église à une nouvelle Via Crucis ? Qu’une telle chose puisse survenir sans rompre la promesse de l’assistance divine est évident et fut même préfiguré dans le fait qu’aucun os du corps sacré de notre Rédempteur ne fut brisé pendant la Passion.
[11] Voir Ferraris, Prompta Bibliotheca, article « Papa », col. 1843, n° 65 ; col. 1845.
Ce passage de Ferraris est reproduit par Bouix, Tractatus de Papa, tom. II, p. 658. L’affirmation citée de Matthaeuccius se trouve dans son ouvrage Controversiarum VII, Cap. I, n° 7.
[12] Sur ce point, Suárez fait référence à saint Robert Bellarmin, De Summo Pontifice, lib. 4, cap. 7.
[13] Suarez, De Fide, disp. X, sect. VI, n. 11, p. 319. – Il ne nous semble pas non plus que ce dernier argument avancé par Suarez soit décisif. Par exemple, pour la fin du monde, Notre Seigneur a prophétisé des événements terribles (voir Matthieu 24, 1-41 ; Marc 13, 1-31 ; Luc 21, 5-33), qui, sous de nombreux aspects, n’auront pas eu de précédents dans toute l’Histoire.
[14] Les auteurs suivants se prononcent dans le même sens : Van Laak, Inst. Theol. Fund., Repert. I, pp. 508-509 ; Straub, De Eccl. Christ., II, n. 1068, pp. 479-480 (cité par Van Laak, op. cit., pp. 508-509) ; Dublanchy, Dictionnaire de Théologie Catholique, article « Infaillibilité du Pape », col. 1717.
[15] Palmieri, Tract. de Rom. Pont., pp. 631-632.
[16] Denz.-Sch. 550.
[17] Denz.-Sch. 551.
[18] Denz.-Sch. 552 – les termes de cette condamnation autorisent à conclure que le Concile avait anathématisé Honorius comme hérétique. Mais ce n’est pas le sens généralement attribué au document. De plus, le Pape saint Léon II, qui a approuvé le IIIe Concile de Constantinople, dans d’autres écrits, a condamné Honorius uniquement comme favorisant l’hérésie (nous présentons ci-après ces déclarations de saint Léon II pour compléter la documentation sur ce point).
[19] Denz.-Sch. 563.
[20] Denz.-Sch. 561.
[21] Denz.-Sch. 561.
[22] H. Baeumer, article « Honorius Ier » dans Lexikon für Theologie und Kirche, 1961 – cité par Hans Küng, Structures…, pages 304-305.
[23] V. Mondello, La Dottrina del Caeteno …, p. 25 ; voir aussi p. 164 – L’auteur reproduit, sur ces sujets, l’affirmation faite par V. Martin dans son ouvrage, Les Origines du Gallicanisme, tome II, chap. I, pp. 12-13. Comme il est évident, le terme « jugé » n’indique pas nécessairement, dans ce passage de V. Mondello, qu’un Concile pourrait porter un véritable « jugement » sur un Pape. Mais dans le contexte, le terme signifie, selon les auteurs traditionnels, qu’un Concile peut prononcer un jugement sur quelqu’un qui était Pape et a cessé de l’être parce qu’il est tombé dans l’hérésie. – Nous expliquons ce problème plus en détail aux pages 161 (note 1) et 175 (point 5 et note 7).
[24] À la page 154, un commentaire dans ce sens de saint Robert Bellarmin a été cité, concernant le texte mentionné ici.
[25] Adrien II, allocutio III, lue au concile VIII, acte 7, cité par Billot, Tractatus De Ecclesia Christi, tome I, p. 611 – Voir aussi Hefele-Leclercq, tome V, pp. 471-472.
[26] Dans ce cas, comme dans celui du Pape Honorius, notre objectif n’est pas de prendre position par rapport à une question historique. Nous souhaitons uniquement montrer que des théologiens d’autorité ont admis la possibilité de l’hérésie dans la personne du Souverain Pontife.
[27] Lettre de saint Bruno de Segni à Pascal II, écrite en 1111 – Patrologia Latina, tome 163, colonne 463. Voir aussi Baronius, Annales, année 1111, n° 30, p. 228 ; Hefele-Leclercq, tome V, partie I, p. 530.
[28] Lettre aux évêques et cardinaux : Patrologia Latina, tome 165, colonne 1139. Voir aussi la lettre de saint Bruno à l’évêque de Porto : Patrologia Latina, tome 165, colonne 1139, également citée par Baronius, Annales, année 1111, n° 31, p. 228.
[29] Cité par Baronius, Annales, année 1111, n° 32, p. 228. Voir aussi : Hefele-Leclercq, tome V, partie I, p. 530 ; Rohrbacher, Histoire universelle de l’Église catholique, tome XV, p. 130.
[30] Cité par Hefele-Leclercq, tome V, partie I, p. 555.
[31] Hefele-Leclercq, tome V, partie I, p. 555.
[32] Cité par Bouix, Tract. de Papa, tom. II, p. 650. – Voir aussi : Hefele-Leclercq, tom. V, part. I, p. 536 ; Rohrbacher, Hist. Univ. de L’Église Cath., tom. XV, p. 61.
[33] Geoffroi, abbé-cardinal de Vendôme, a exprimé les mêmes opinions : voir Rohrbacher, Hist. Univ. de L’Égl. Cath., tome XV, pp. 63-64.
[34] Hefele-Leclercq, tom. V, part. I, pp. 536-537.
[35] Voir : Bouix, Tract. de Papa, tom. II, pp. 650-651 ; Rohrbacher, Hist. Univ. de L’Église Cath., tome XV, pp. 61-63. Saint Yves de Chartres, qui a pris cette décision avec d’autres évêques, explique son attitude dans une lettre adressée à l’archevêque de Lyon (P. L., 162, 238 sq.).
[36] Il semble que cette dispute, qui divisa même les saints qui s’opposèrent à Pascal II, ait eu pour origine une certaine confusion qui persistait concernant le concept d’hérétique. Certains disaient que, puisque le Pape n’avait pas affirmé l’hérésie, il n’était pas hérétique. D’autres soutenaient qu’ayant agi d’une manière contraire à un dogme défini, il était hérétique. La théologie ultérieure a mieux clarifié le principe selon lequel il est possible de tomber dans l’hérésie non seulement en niant explicitement un dogme, mais aussi par des actes qui révèlent de manière non équivoque un esprit hérétique (nous avons développé ce thème dans l’article « Les actes, gestes, attitudes et omissions peuvent révéler un hérétique », dans Catholicismo, n° 204, décembre 1967). Par conséquent, Saint Yves avait raison de soutenir que le simple fait d’agir d’une manière opposée à un dogme n’avait pas fait de Pascal II un hérétique. Mais, dans ses écrits, on ne voit pas qu’il ait considéré l’autre aspect de la question : agir continuellement d’une manière contraire à un dogme peut suffire à révéler un hérétique. De leur côté, les évêques réunis à Vienne avaient raison lorsqu’ils disaient qu’il est possible de tomber dans l’hérésie non seulement par des paroles, mais aussi par des actes ; mais il n’est pas certain qu’ils aient pris en compte que de tels actes ne révèlent un hérétique que lorsqu’ils manifestent, dans toutes les circonstances considérées, un esprit hérétique de manière non équivoque. Une simple pusillanimité, par exemple, même prolongée, ne constitue pas une hérésie. Cela devait être, comme les historiens l’admettent généralement, le cas de Pascal II.
[37] P. L., tom. 162, col. 240.
[38] Le Decretum attribué à saint Yves de Chartres contient également une référence à la possibilité d’un Pape hérétique, comme nous l’indiquons à cette même page. Nous ne lui donnons pas une importance particulière car son autorité est aujourd’hui mise en doute. Il est néanmoins indéniable que ce décret reçoit une reconnaissance non négligeable en tant qu’expression de la pensée médiévale.
[39] Pars I, dist. 40, cap. 6, Canon « Si Papa », – Le Decretum de Gratien a été composé dans la première moitié du XIIe siècle, probablement vers l’an 1140.
[40] Dublanchy, article « Infaillibilité du Pape », in Dict. de Théol. Cath., cols. 1714-1715. – Un autre canon de Gratien est également interprété, par des auteurs comme Cajetan (De Comparatione …, p. 170) et Suarez (De Fide, disp. X, cap. VI, n. 15, p. 320), dans le sens qu’un Pape déclaré hérétique serait privé de sa charge. Il s’agit du chapitre Oves (C. 13, c. 2, q. 7), attribué au Pape saint Eusèbe (ce canon serait du pseudo-Isidore, selon ce que conclut Bernardi, Gratian. Canon. Geniun., pars II, tom. II, cap. 29, p. 138, cité par Phillips, Du Droit Eccl., vol. I, pp. 179-180).
[41] Cité par Billot, Tract. de Eccl. Christi, tom. I, p. 610. Voir aussi Sermo IV in cons. Pont., P. L., 217, 670. Bien que de telles déclarations ne soient évidemment pas des définitions de foi, elles ont néanmoins une grande autorité, venant d’un Pape qui était un défenseur intransigeant et intrépide des prérogatives pontificaux.
[42] Pour l’acceptation non-conciliariste du terme « jugé », dans ce contexte, voir note 2 de la page 150.
[43] V. Mondello, La Dottrina del Gaetano…, p. 25.
[44] Tractatus de Ecclesia Christi, tome I, pp. 610-612. Voir également : Bouix, Tractatus de Papa, tome II, pp. 658-659 ; Phillips, Du Droit Ecclésiastique, volume I, pp. 179-180.
[45] Saint Robert Bellarmin, De Romano Pontifice, livre II, chapitre 30, p. 418.
[46] Voir la note relative au schéma synoptique de la page 145, ainsi que la note 6 de la page 146.
[47] Suarez, De Legibus, lib. IV, cap. 7, n 10, p. 361. – À ce qui suit, Suarez défend son opinion (voir pages 161 ff.).
[48] Saint Robert Bellarmin, De Rom. Pont., lib. II, cap. 30, p. 418. Les majuscules sont de nous.
[49] Salaverri, De Eccl. Christi, p. 718.